LES MGF  TRANSFRONTALIÈRES

Comment lutter contre les MGF transfrontalières ?

 

Au niveau national

Une législation nationale plus ferme concernant les MGF trans-frontalières et la poursuite de ceux impliqués dans leur pratique est nécessaire.

En ce sens, Felister Gitonga  a souligné le rôle de la loi Kenyane interdisant les MGF:

“La mise en œuvre de la loi sur l’interdiction des MGF au Kenya (2011) a également contribué à l’augmentation des MGF trans-frontalières. La loi criminalise les MGF trans-frontalières en vertu de l’article 21. La collaboration entre les organisations communautaires, les agents de police communautaires et les organismes d’application de la loi a intensifié l’application de la loi au Kenya, les autorités étant très vigilantes pendant la saison d’excision. Ainsi, les membres de la communauté choisissent d’emmener des enfants en Tanzanie où les autorités ne sont pas très vigilantes.”

Au niveau régional

La coopération régionale est essentielle et le programme joint UNFPA-UNICEF (UNFPA-UNICEF,2018 ; UNFPA-UNICEF,2019)  sur les MGF souligne l’importance des initiatives trans-frontalières pour éliminer les MGF dans toutes les régions.

“Pour remédier aux disparités dans les lois sur les MGF entre les pays voisins, les interventions ont inclus la collaboration politique, la législation et les communications. Le travail a commencé sur des lois régionales pour interdire cette pratique. En Afrique de l’Est, par exemple, un projet de protocole régional traite de la coopération trans-frontalière, de la mise en œuvre des lois nationales et de la résolution 2016 des Nations Unies. Le protocole régional a informé le projet de loi sur les MGF de l’assemblée législative de l’Afrique de l’Est en 2017, qui vise à doter les experts de pouvoirs juridiques pour suivre et mener des interventions au-delà des frontières. Le programme joint a également soutenu l’adoption du projet de loi de 2016 sur l’égalité des sexes et le développement de la Communauté de l’Afrique de l’Est. La loi devrait renforcer la coopération régionale dans la poursuite des auteurs de MGF. “

Exemples d’initiatives régionales

Loi sur l’interdiction des MGF de la Communauté de l’Afrique de l’Est

En 2016, la Communauté de l’Afrique de l’Est a adopté la loi sur l’interdiction des MGF, faisant des MGF un crime transnational entre ses pays membres. Les membres comprennent le Kenya, le Soudan du Sud, la Tanzanie et l’Ouganda. Tous ont des communautés pratiquant les MGF mais présentent des degrés divers d’application des lois nationales les prohibant. (28 Too Many, 2018(a); 28 Too Many, 2018(b))

” Une personne commet une infraction si elle emmène une autre personne d’un état partenaire dans un autre état partenaire ou dans un autre pays, ou fait en sorte qu’une autre personne soit amenée dans un état partenaire d’un autre pays avec l’intention de soumettre cette autre personne à une mutilation génitale féminine. ” Article 6 de la loi EAC, 28 Too Many, 2018., (28 Too Many, 2018(a); 28 Too Many, 2018(b))

Des lois régionales similaires devraient être mises en œuvre dans d’autres régions.

La Déclaration et le Plan d’action pour mettre fin aux MGF trans-frontalières par le Kenya, la Tanzanie, l’Ouganda, l’Éthiopie, la Somalie.

En avril 2019, cinq pays d’Afrique de l’Est ont adopté une déclaration et un plan d’action communs pour lutter contre les MGF, y compris les MGF trans-frontalières. Cette initiative est soutenue par le Programme joint UNFPA-UNICEF sur les MGF et la déclaration est considérée comme une “réunion marquante pour déclarer la fin des MGF, en particulier les dimensions trans-frontalières des MGF”.

Cette réunion est la première du genre dans l’histoire des efforts mondiaux pour éradiquer les MGF. Les gouvernements participants ont formulé des recommandations qui ont réaffirmé la nécessité de partenariats solides à tous les niveaux pour mettre fin aux MGF.

Le Plan d’action comprend 4 domaines prioritaires :

  1. Amélioration des cadres législatifs et politiques et l’environnement pour mettre fin aux mutilations génitales féminines trans-frontalières ;
  2. Coordination et collaboration efficaces et efficientes entre les cinq gouvernements nationaux pour mettre fin aux MGF au sein de leurs frontières ;
  3. Communication et plaidoyer sur la prévention et actions menées sur les MGF trans-frontalières ;
  4. Amélioration de la capacité des gouvernements nationaux, les universités et les bureaux de statistiques de générer et utiliser des preuves et des données pour lutter contre les MGF trans-frontalières.

(UNFPA Kenya, 2019) 

Programme conjoint sur les initiatives transfrontalières contre les MGF

Le programme conjoint de l’UNFPA-UNICEF sur les MGF a mis en œuvre des initiatives trans-frontalières pour lutter contre les MGF dans plusieurs régions (UNFPA-UNICEF,2018), notamment :

  • Gambie / Sénégal – dans le but de sensibiliser et d’élaborer un plan d’action pour accroître la surveillance dans les communautés frontalières entre les deux pays pour l’identification et le signalement des enfants à risque de subir des MGF.
  • Portugal / Guinée-Bissau – Travailler avec les gouvernements ainsi qu’avec la société civile, y compris la diaspora bissau-guinéenne au Portugal, pour soutenir la prévention des MGF durant les périodes de vacances. Le programme ciblait l’émigration / les postes frontières dans les deux pays, en particulier dans les aéroports où les autorités frontalières ont reçu des informations sur les MGF et la législation du Portugal et de la Guinée-Bissau.
  • L’Ouganda et le Kenya ont organisé des marathons (dont deux trans-frontaliers) impliquant des représentants politiques et religieux. Plus de 1 200 athlètes d’Ouganda, d’Éthiopie et du Kenya ont participé à l’événement organisé en 2017. Quatre réunions trans-frontalières sur les MGF ont également été organisées impliquant des acteurs politiques, culturels et communautaires de haut niveau de l’Ouganda et du Kenya.

Comment lutter contre les MGF transfrontalières, contribution de Joséphine Wouango

Je pense que nous devons réfléchir à des actions et interventions qui permettent d’abord de cerner et contrôler ces pratiques afin de mieux les éradiquer. Entre autres :

  • Avoir un outil commun, une loi régionale pour harmoniser les sanctions afin que la lutte soit unanime et cohérente. Tant que les gens auront cette facilité à traverser la frontière et poursuivre la pratique, la lutte sera difficile même pour un pays comme le Burkina qui applique rigoureusement sa loi sur l’excision.
  • Avoir une volonté politique dans les tous pays frontaliers, car si vous avez une loi régionale et que tous les pays ne l’appliquent pas de façon rigoureuse, ce sera peine perdue. Il y a des cas de MGF trans-frontalières où chaque pays frontalier a une loi (Burkina Faso-Niger ; Burkina Faso-Ghana par exemple), mais les gens traversent quand même pour “aller faire la chose de l’autre côté”.

“Quand vous prenez le Ghana c’est la même chose, quand vous prenez la région du Sud-ouest, les gens prennent leurs filles, ils traversent, vont au Ghana pour faire ça et puis ils reviennent, donc vous voyez ! Quand vous prenez la Côte d’Ivoire, ils amènent les filles dans les zones forestières, ils font ça et ils reviennent ; parce que j’ai déjà été en Côte d’Ivoire, j’ai vu. Je rends visite à une tante qui vit là-bas, donc je sais ce qui s’y passe.”  Une personne ressource, Burkina Faso.

  • Renforcer les actions de prise de conscience au niveau communautaire afin que les gens comprennent POURQUOI ils doivent arrêter la pratique, se servir des leaders locaux respectés qui ont un pouvoir énorme au sein de la communauté et qui sont surtout convaincus du bien-fondé de l’abandon de la pratique. Le CNLPE au Burkina Faso le fait depuis longtemps, mais il faut le poursuivre.  Il se peut que le message d’un leader local qui est connu, proche de la population, et surtout qui est respecté, soit mieux compris que celui d’un bureaucrate qui arrive de la ville et qui ne comprend pas bien les tenants et les aboutissants de la vie communautaire locale. Au Burkina Faso comme au Mali, nos participants connaissent très bien les conséquences néfastes liées à l’excision, avec des exemples concrets à l’appui.

Alors, pourquoi les gens continuent quand même à exciser leurs filles, souvent clandestinement ?

Nous avons remarqué dans notre étude que dans les 6 villages, les gens ont tendance à faire recours au droit coutumier dans tout type de situation conflictuelle plutôt que le droit civil (sollicité en dernier recourt). Nous avons aussi constaté qu’il y a toujours des gens qui sont farouchement des défenseurs de la pratique (hommes et femmes). Pour ceux-ci, l’excision n’a que des avantages et toutes les campagnes n’ont pour seul but que de faire disparaître leurs coutumes et saper leur intégrité. Quand vous avez des mentalités tenaces de cette nature, la répression et la loi seule sont insuffisantes. Il s’avère indispensable d’intensifier des interventions communautaires plus adaptées. Aussi, mêmes ces personnes qui sont de farouches défenseurs de l’excision, qui le disent ouvertement lors d’entretiens, ont néanmoins peur de perdre leur fille suite à une excision qui serait mal pratiquée. 

  • Ne pas négliger les capacités d’actions de la jeunesse. Nous avons constaté que les jeunes commencent à questionner les arguments des aînés qui sont en faveur de la pratique. Les raisons : les médias, l’éducation, la mobilité (certains ont vécu dans des pays qui ne pratiquent pas l’excision, mais où les femmes sont mariées et ont des enfants), etc.

Les jeunes filles et garçons de nos focus groups se réfèrent aux aînés pour expliquer les raisons de l’excision : ” les vieux ont dit que… “. Certains même pensent que ” quand ils [les vieux] ne seront plus là”, la pratique pourrait disparaître. Mais étant donné que ces jeunes vivent au sein des communautés où le respect des aînés est indispensable, où l’on ne contredit pas trop “ce que les vieux ont di”, il leur est parfois difficile de s’opposer ouvertement aux valeurs et aux pratiques d’un autre temps qui ont court dans leurs milieux de vie. Ces jeunes ont besoin d’être soutenus.

  • D’autres personnes ressources de notre recherche disent que seuls les agents de santé ont les moyens de savoir si la fille a été excisée ou pas, et c’est lors d’une visite médicale. Par conséquent, ces agents de santé pourraient être à la frontière avec les agents de sécurité pour contrôler le retour des filles en provenance du Mali. Cependant, eux-mêmes reconnaissent que c’est une mesure utopique compte tenu du nombre d’agents de santé disponible dans les villages et de l’étendue de la frontière.

Alors, ils proposent que le gouvernement instaure (ou impose) des visites médicales régulières aux enfants de 0 à X ans, ce qui permettrait de revoir l’enfant/fille régulièrement et d”en profiter pour continuer à sensibiliser les mères sur les méfaits de l’excision. Encore faut-il que les femmes amènent leurs filles excisées à l’hôpital.

Par exemple, nous avons écouté des cas d’hémorragies suite à une excision, mais les gens vous disent qu’ils n’ont jamais amené la fille à l’hôpital, au Mali comme au Burkina Faso, parce qu’ils ont peur. Alors, ils font du bricolage à la maison jusqu’à ce que l’hémorragie finissent par s’arrêter. Certains sont même allés emprunter des médicaments chez des prêtres, mais ils n’ont jamais dit que c’était pour arrêter une hémorragie due à une excision !!

  • La nécessité d’avoir davantage d’études sur les MGF trans-frontalières. Actuellement il y en a peu. La lutte trans-frontalière est maintenant sur l’agenda africain et même au-delà. Il est important de mieux comprendre ses manifestations, les motivations des populations et d’autres facteurs afin de développer des stratégies d’interventions efficaces et surtout durables, car la problématique est complexe.
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