Je pense que nous devons réfléchir à des actions et interventions qui permettent d’abord de cerner et contrôler ces pratiques afin de mieux les éradiquer. Entre autres :
- Avoir un outil commun, une loi régionale pour harmoniser les sanctions afin que la lutte soit unanime et cohérente. Tant que les gens auront cette facilité à traverser la frontière et poursuivre la pratique, la lutte sera difficile même pour un pays comme le Burkina qui applique rigoureusement sa loi sur l’excision.
- Avoir une volonté politique dans les tous pays frontaliers, car si vous avez une loi régionale et que tous les pays ne l’appliquent pas de façon rigoureuse, ce sera peine perdue. Il y a des cas de MGF trans-frontalières où chaque pays frontalier a une loi (Burkina Faso-Niger ; Burkina Faso-Ghana par exemple), mais les gens traversent quand même pour “aller faire la chose de l’autre côté”.
“Quand vous prenez le Ghana c’est la même chose, quand vous prenez la région du Sud-ouest, les gens prennent leurs filles, ils traversent, vont au Ghana pour faire ça et puis ils reviennent, donc vous voyez ! Quand vous prenez la Côte d’Ivoire, ils amènent les filles dans les zones forestières, ils font ça et ils reviennent ; parce que j’ai déjà été en Côte d’Ivoire, j’ai vu. Je rends visite à une tante qui vit là-bas, donc je sais ce qui s’y passe.” Une personne ressource, Burkina Faso.
- Renforcer les actions de prise de conscience au niveau communautaire afin que les gens comprennent POURQUOI ils doivent arrêter la pratique, se servir des leaders locaux respectés qui ont un pouvoir énorme au sein de la communauté et qui sont surtout convaincus du bien-fondé de l’abandon de la pratique. Le CNLPE au Burkina Faso le fait depuis longtemps, mais il faut le poursuivre. Il se peut que le message d’un leader local qui est connu, proche de la population, et surtout qui est respecté, soit mieux compris que celui d’un bureaucrate qui arrive de la ville et qui ne comprend pas bien les tenants et les aboutissants de la vie communautaire locale. Au Burkina Faso comme au Mali, nos participants connaissent très bien les conséquences néfastes liées à l’excision, avec des exemples concrets à l’appui.
Alors, pourquoi les gens continuent quand même à exciser leurs filles, souvent clandestinement ?
Nous avons remarqué dans notre étude que dans les 6 villages, les gens ont tendance à faire recours au droit coutumier dans tout type de situation conflictuelle plutôt que le droit civil (sollicité en dernier recourt). Nous avons aussi constaté qu’il y a toujours des gens qui sont farouchement des défenseurs de la pratique (hommes et femmes). Pour ceux-ci, l’excision n’a que des avantages et toutes les campagnes n’ont pour seul but que de faire disparaître leurs coutumes et saper leur intégrité. Quand vous avez des mentalités tenaces de cette nature, la répression et la loi seule sont insuffisantes. Il s’avère indispensable d’intensifier des interventions communautaires plus adaptées. Aussi, mêmes ces personnes qui sont de farouches défenseurs de l’excision, qui le disent ouvertement lors d’entretiens, ont néanmoins peur de perdre leur fille suite à une excision qui serait mal pratiquée.
- Ne pas négliger les capacités d’actions de la jeunesse. Nous avons constaté que les jeunes commencent à questionner les arguments des aînés qui sont en faveur de la pratique. Les raisons : les médias, l’éducation, la mobilité (certains ont vécu dans des pays qui ne pratiquent pas l’excision, mais où les femmes sont mariées et ont des enfants), etc.
Les jeunes filles et garçons de nos focus groups se réfèrent aux aînés pour expliquer les raisons de l’excision : ” les vieux ont dit que… “. Certains même pensent que ” quand ils [les vieux] ne seront plus là”, la pratique pourrait disparaître. Mais étant donné que ces jeunes vivent au sein des communautés où le respect des aînés est indispensable, où l’on ne contredit pas trop “ce que les vieux ont di”, il leur est parfois difficile de s’opposer ouvertement aux valeurs et aux pratiques d’un autre temps qui ont court dans leurs milieux de vie. Ces jeunes ont besoin d’être soutenus.
- D’autres personnes ressources de notre recherche disent que seuls les agents de santé ont les moyens de savoir si la fille a été excisée ou pas, et c’est lors d’une visite médicale. Par conséquent, ces agents de santé pourraient être à la frontière avec les agents de sécurité pour contrôler le retour des filles en provenance du Mali. Cependant, eux-mêmes reconnaissent que c’est une mesure utopique compte tenu du nombre d’agents de santé disponible dans les villages et de l’étendue de la frontière.
Alors, ils proposent que le gouvernement instaure (ou impose) des visites médicales régulières aux enfants de 0 à X ans, ce qui permettrait de revoir l’enfant/fille régulièrement et d”en profiter pour continuer à sensibiliser les mères sur les méfaits de l’excision. Encore faut-il que les femmes amènent leurs filles excisées à l’hôpital.
Par exemple, nous avons écouté des cas d’hémorragies suite à une excision, mais les gens vous disent qu’ils n’ont jamais amené la fille à l’hôpital, au Mali comme au Burkina Faso, parce qu’ils ont peur. Alors, ils font du bricolage à la maison jusqu’à ce que l’hémorragie finissent par s’arrêter. Certains sont même allés emprunter des médicaments chez des prêtres, mais ils n’ont jamais dit que c’était pour arrêter une hémorragie due à une excision !!
- La nécessité d’avoir davantage d’études sur les MGF trans-frontalières. Actuellement il y en a peu. La lutte trans-frontalière est maintenant sur l’agenda africain et même au-delà. Il est important de mieux comprendre ses manifestations, les motivations des populations et d’autres facteurs afin de développer des stratégies d’interventions efficaces et surtout durables, car la problématique est complexe.