L’implication des hommes

Les limitations de l’engagement des hommes dans les campagnes anti-MGF

 

I

Alors que l’engagement des hommes dans le travail contre les MGF a été mis en avant comme une étape importante dans l’éradication de la pratique, il ne s’agit pas d’une solution miracle. Plusieurs lacunes et critiques de cette stratégie ont été développés par les expert.e.s.

Tout d’abord, impliquer les hommes dans la prévention contre les MGF n’est pas toujours facile car on n’attend pas des hommes qu’ils remettent en question les normes en vigueur dans le système patriarcal. Durant le webinaire organisé par la CoP dans le cadre de la discussion sur l’implication des hommes, Peter Kemei, Rodrigue Bukungu Kkwyaya et Modou Lamin Davies ont soulevé que les hommes engagés contre les MGF peuvent être considérés comme « faibles », « peu virils » et inférieurs aux « vrais hommes ». Pour certains alliés masculins ce travail peut remettre en question leur statut dans la société et les rendre vulnérables aux critiques des membres de la communauté, y compris les leaders communautaires. Amener les hommes à questionner leur rôle de genre afin de prendre position contre les MGF peut donc être un processus lent.

Ensuite, à cause de leurs privilèges dans beaucoup de sociétés, les hommes qui participent aux luttes anti MGF peuvent se voir accorder un espace et des éloges disproportionnés, ce qui peut même contribuer à une augmentation des inégalités entre les sexes. Les hommes qui défendent les droits des femmes sont parfois mis sur un piédestal, leur travail étant considéré comme « incroyable », alors que ce qu’ont fait des centaines et des milliers de femmes avant eux ne reçoit pas toujours la même attention. Par conséquent, les programmes pourraient renforcer le statu quo selon lequel les hommes – et leur travail – sont plus valorisés que les femmes, et les femmes et leurs compétences sont dévalorisées.

Durant la discussion organisée par la CoP, des membres ont également fait savoir que l’implication des hommes contre les MGF pouvait, sans le vouloir, renforcer les normes de genre et les déséquilibres de pouvoirs entre les genres qui caractérisent la société patriarcale et engendrent, en premier lieu, les MGF. Certain.e.s ont argumenté que les voix en faveur de l’engagement des hommes tendent à mettre l’accent sur les femmes comme principales perpétratrices des MGF. Ces propos impliquent également que les hommes, dans les sociétés patriarcales, ont le pouvoir de les obliger à cesser cette pratique. On attend des femmes qu’elles se soumettent aux ordres des hommes et sous-entend qu’elles auraient besoin que des hommes leur dictent comment agir. Bien que ces stratégies pourraient mener à une diminution efficace des MGF, cela peut dans le même temps renforcer le rôle et le pouvoir des hommes en rejetant la faute seulement sur les femmes, ignorant ainsi les véritables rôles joués par les hommes dans la pratique des MGF.

“Une approche qui utilise le pouvoir des hommes dans les sociétés patriarcales risque aussi de confirmer l’hypothèse selon laquelle les femmes ne devraient pas prendre de décisions, car apparemment elles prennent des décisions qui causent de la douleur, à moins qu’un homme ne les arrête. Les attentes et les attitudes des hommes envers les femmes et particulièrement envers la sexualité des femmes créent le contexte social dans lequel la pratique se développe. Leur rôle est plus important que de seulement permettre que la pratique se produise en restant silencieux.”

Julia Lehmann, Responsable du programme SRHR pour Plan International Danemark

Troisièmement, les hommes qui œuvrent contre les MGF ne considèrent peut-être pas toujours la pratique comme une part d’un continuum de violences dans le cadre plus large de la société patriarcale. Ils peuvent ne pas tenir compte de leur propre rôle dans le maintien du patriarcat, ou des privilèges qu’ils détiennent dans ce système. Les MGF pourraient alors être abordées uniquement en tant que sujet autonome. De tels programmes ne seraient pas transformateurs de genre i.e. ne contribueraient pas à mettre fin à la domination des hommes sur les femmes, y compris à tous les types de violences basées sur le genre.

En effet, une autre membre de la CoP, Maria Väkiparta, la conseillère en matière d’égalité des genres pour International Solidarity Foundation, a souligné que les discours sur l’engagement des hommes et des garçons dans la lutte contre les MGF sont souvent basés sur la valorisation de la masculinité hégémonique. Dans son argumentation, elle met en lumière que Les discours héroïques concernant les hommes découragent l’auto-examen critique et la remise en question de la position des militants anti-FGM masculins, qui sont présentés comme vertueux (forts, courageux ou audacieux) et comme des “hommes bons”. Elle a souligné que ce point de vue sur les militants anti-MGF masculins peut les placer, eux et leurs propres relations avec les femmes, hors de toute possibilité de critique. Cette façon de penser néglige les privilèges qu’eux, et les autres hommes en général, ont dans des contextes patriarcaux. 

Finalement, en présentant les MGF sous l’angle des problèmes sexuels et en invitant les hommes à prendre position contre, les programmes anti-MGF risquent de se concentrer sur les problèmes psycho-sexuels des hommes, en attribuant à la santé et au plaisir sexuels des femmes une valeur instrumentale. Par conséquent, cela renforce encore l’inégalité des genres.

Samantha Royle et Frank Ouedraogo de Tackle Africa ont souligné l’importance, pour les programmes de lutte contre les MGF, de saisir l’opportunité d’impliquer les hommes et les garçons, en raison de leur pouvoir relatif dans la société, tout en travaillant vers l’objectif à long terme de l’égalité entre les sexes en s’attaquant aux normes de genre sous-jacentes et en renforçant l’autonomie des femmes.

 

  • Comment faire en sorte que les campagnes contre les MGF soient réellement transformatrices de genre et que les alliés masculins aient les capacités de remettre en question les structures patriarcales qui soutiennent la violence basée sur le genre et la domination des hommes sur les femmes ?
  • Quels sont les défis ou les limites de la collaboration avec les alliés masculins dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes, comme les MGF, que vous avez constatés dans votre travail ? Comment peuvent-ils être surmontés ?
Sur le même thème