Approches transformatrices de genre

Les expert.e.s participant.e.s au dialogue international des parties prenantes (ISD) ont convenu qu’une approche transformatrice de genre (ATG) doit aller au-delà de l’autonomisation des femmes et des filles et remettre réellement en question l’ordre social qui conduit à l’inégalité des genres. Les ATG comprennent des mesures visant à informer/sensibiliser, voire transformer les hommes et les garçons sur la question de la masculinité toxique, à remettre en question les normes sociales liées au genre, y compris les stéréotypes sexistes nuisibles, et à favoriser l’autonomisation des femmes et des filles. Ces programmes doivent remettre en question les rôles et les dynamiques de pouvoir liés au genre, et s’efforcer de les contrer à tous les niveaux de la société.

Le modèle socio-écologique situe les individus dans leur environnement plus large et “considère l’interaction complexe entre les facteurs individuels, relationnels, communautaires et sociétaux. Il nous permet de comprendre l’ensemble des facteurs qui exposent les gens au risque de violence ou les protègent de l’expérience ou de la perpétration de la violence.” (Center for disease control and prevention – notre traduction)

L’utilisation de ce modèle permet de comprendre que “les déséquilibres de pouvoir et les normes sexospécifiques néfastes à tous les niveaux sont susceptibles de sous-tendre la coupure et doivent être abordés afin d’obtenir un changement durable”. (Orchid Project, 2021 – notre traduction)

Les approches transformatrices de genre sont relativement nouvelles dans le secteur de la lutte contre les MGF, bien que ces approches soient utilisées dans d’autres domaines de la programmation des projets de développement. L’une des sessions du dialogue international des parties prenantes s’est ainsi concentrée sur les défis qui se posent lors de l’adoption d’une ATG spécifiquement pour la prévention et la prise en charge des MGF. L’objectif était d’identifier les barrières qui entravent l’application de programmes véritablement transformateurs de genre. Cet article résume les défis qui ont été identifiés par les participant.e.s des groupes de travail au cours du ISD.

Sous-titre : Défis pour la mise en œuvre de programmes anti-FGM transformateurs de genre

Les défis identifiés ont été classés en quatre niveaux de sphères, sur la base du modèle socio-écologique: 

• Individu
• Relationnel
• Communauté
• Sociétal

Les niveaux individuel et relationnel comprennent les rôles de chaque membre de la communauté dans la perpétuation de pratiques telles que les MGF, la manière dont les décisions sont prises par les individus ou au niveau familial, et abordent les (dés)équilibres de pouvoir entre les sexes et entre les générations. Il a été souligné que les jeunes générations ont moins de pouvoir que les personnes plus âgées dans la communauté et que le peu de pouvoir qu’elles détiennent est encore réduit si elles sont des femmes/filles. Les femmes et les hommes de la communauté jouent également des rôles très différents dans la perpétuation des MGF, car ce sont les filles et les femmes qui subissent et effectuent la pratique, alors que les garçons et les hommes ne sont généralement pas impliqués dans l’excision et ont parfois des connaissances limitées de la pratique et de ses conséquences. La nature même du sujet des MGF, qui est tabou, crée par ailleurs une difficulté inhérente à la mise en œuvre d’une ATG.

Ainsi, les défis spécifiques suivants ont été soulignés pour les niveaux Individuel et Relationnel :

Défis au niveau individuel

• Les hommes ne considèrent pas toujours les MGF comme un problème d’inégalité de genre et une forme de violence basée sur le genre;
• Manque de volonté des hommes et des garçons de remettre en question les relations de pouvoir, leur propre rôle dans la société et l’impact que cela a sur les femmes et les filles;
• La résistance des hommes qui ne veulent pas renoncer à leurs privilèges, non seulement en ce qui concerne les MGF mais aussi d’autres programmes d’égalité de genre: la crainte que s’ils ne peuvent pas contrôler les femmes, ils perdront leur statut et leur valeur dans leurs communautés;
• La faible implication des hommes, en particulier des jeunes garçons, dans les programmes visant à promouvoir l’abandon des MGF et, plus largement, dans les programmes remettant en cause les rôles, les dynamiques et les stéréotypes liés au genre, notamment les masculinités toxiques, la sexualité, etc.;
• Le manque de pouvoir des filles et des femmes pour défendre leurs droits et s’opposer aux MGF;
• Le manque d’inclusion de toutes les identités de genre dans les outils disponibles pour mettre fin aux MGF (par exemple, une personne qui a subi une MGF et qui ne s’identifie pas comme une femme cisgenre dans sa vie adulte).

Défis au niveau relationnel

• L’absence de prise en compte des (dés)équilibres de pouvoir intergénérationnels et le manque de dialogue entre les jeunes et les personnes âgées sur les normes de genre et les MGF;
• La réticence des parents ou des familles à socialiser les enfants de manière ouverte et moins restrictive par rapport aux normes de genre;
• La crainte des conflits interpersonnels qui peuvent survenir lors de la remise en question des rôles, des normes et des relations entre les sexes (par exemple, entre le mari et la femme, le père et la fille, les mères et les filles, les jeunes garçons et les filles, etc.);
• La difficulté pour les défenseur.e.s de la lutte contre les MGF de sensibiliser publiquement contre les MGF par crainte de conséquences négatives.

Le niveau communautaire “explore les milieux, tels que les écoles, les lieux de travail et les quartiers, dans lesquels se déroulent les relations sociales et cherche à identifier les caractéristiques de ces milieux qui sont associées au fait de devenir victimes ou auteurs de violence.” (Center for disease control and prevention – notre traduction) Les participant.e.s ont souligné qu’en raison de la nature “à long terme” des approches de transformation du genre, ou du moins du fait qu’il faudra beaucoup de temps avant de constater des changements, certaines organisations et personnes ne donnent pas la priorité à l’ATG. Ils.elles ont également souligné que les programmes visant à remettre en question les normes de genre et les normes sociales créeront inévitablement des tensions ou des conflits entre les membres de la communauté.

Défis au niveau communautaire

• Résistance des éducateurs et éducatrices, des parents et des chef.fe.s communautaires et religieux lorsque les questions sur le genre sont abordées;
• La peur des responsables de projets et des membres de la communauté de provoquer des tensions ou des conflits en soulevant des sujets inconfortables, tels que les MGF ou les normes de genre;
• La difficulté d’assurer une continuité dans la mise en œuvre des efforts de transformation du genre qui nécessitent beaucoup de temps être efficaces;
• La difficulté de remettre en question les coutumes et les traditions au sein des communautés, ainsi que les sujets particulièrement tabous de la sexualité et des MGF, qui ne peuvent généralement être abordés qu’en soulevant d’abord un sujet différent;
• La communication sur ce qu’est une approche transformatrice de genre, y compris la traduction du terme dans des langues autres que l’anglais.

Le niveau sociétal “examine les facteurs sociétaux généraux qui contribuent à créer un climat dans lequel la violence est encouragée ou inhibée” (Center for disease control and prevention). En ce qui concerne les MGF, il peut s’agir de normes sociales et culturelles qui soutiennent la pratique, et de politiques qui maintiennent les inégalités économiques ou sociales entre les femmes et les hommes.

Défis au niveau de la société

• Le manque d’engagement significatif des femmes en matière de VBG et de MGF. Cette situation est liée au manque d’autonomie des femmes et des filles, y compris leur indépendance financière et leur capacité à s’organiser et à sensibiliser le public. En outre, les femmes peuvent être réticentes à remettre en question des aspects de l’inégalité entre les sexes qui semblent leur donner du pouvoir (comme le “pouvoir” au sein du foyer, sur les traditions, sur l’éducation des enfants) et peuvent être les auteurs ou les partisans des MGF;
• Le faible engagement des jeunes dans les espaces de prise de décision;
• L’opposition des chefs religieux ou traditionnels à la remise en question des normes de genre. Certains chefs religieux encouragent également les MGF en citant des textes religieux affirmant que les MGF sont une obligation. Dans les communautés pratiquantes qui sont fortement orientées vers la foi et où les chefs religieux sont des personnes très respectées, il devient difficile de contrer leurs arguments;
• La force des normes de genre et leur invisibilité pour ceux qui font partie de la culture;
• Le fait qu’il y ait peu ou n’y a pas de programmes complets d’éducation sexuelle dans les programmes scolaires nationaux ; les systèmes éducatifs n’encouragent pas la pensée critique ou la remise en question de l’autorité;
• Le manque de compréhension des approches transformatrices de genre par les bailleurs, les OSC, les ONG, les organisations internationales, etc.;
• Le manque de volonté politique, notamment absence de mise en œuvre des lois contre les MGF (ou absence de lois), absence de prise en compte des questions liées aux MGF dans les plans de développement locaux et dans les plans d’investissement annuels, absence de financement à long terme et faibles synergies entre les lois étatiques, religieuses et coutumières;
• Le manque de soins de santé et de services psychosociaux gratuits et accessibles pour les survivants des MGF; 
• Les participant.e.s ont spécifiquement relevé plusieurs défis opérationnels pour la mise en œuvre des approches transformatrices de genre, notamment :
  • Le coût élevé, car ces approches nécessitent des ressources importantes et un investissement en temps ainsi que des partenariats ou des consortiums multidisciplinaires pour être mises en œuvre, peut dissuader les OSC de tenter de mettre en œuvre ce type d’approche;
  • Les bailleurs de fonds préfèrent des projets plus courts avec des résultats plus tangibles plutôt que des programmes à long terme visant un changement générationnel;
  • L’encadrement et l’évaluation des capacités de transformation de l’égalité des sexes d’un projet donné : il est difficile de mesurer les changements de normes et de perceptions sociales;
  • Les petites OSC ou les organisations de base sont empêchées de demander un financement qui leur permettrait de mettre en œuvre une approche transformatrice de genre en raison de leurs ressources ou capacités limitées;
  • Le risque d’une application seulement partielle, par exemple en impliquant des alliés masculins qui sont contre les MGF mais qui soutiennent ou ne remettent pas en question des normes de genre plus larges qui leur profitent;
  • La nécessité de trouver un équilibre entre la nécessité d’une action urgente pour éradiquer une pratique néfaste telle que les MGF et l’approche à long terme nécessaire pour mettre en œuvre une approche transformatrice de genre;
  • Le manque d’appropriation par le personnel travaillant sur des projets relatifs aux DSSR/VBG/MGF ou par les prestataires de services et la reproduction des inégalités entre les sexes au sein des OSC et des ONGI qui travaillent à l’éradication des MGF;
  • Manque de données sur la prévalence des MGF et d’autres types de violence fondée sur le genre, y compris avec les communautés de la diaspora dans les pays d’accueil;
  • L’absence de canaux de communication adéquats pour sensibiliser le public, notamment en cas de crise sécuritaire ou de pandémie.

Les participant.e.s au dialogue sur les ATG ont souligné qu’il était nécessaire d’inclure des groupes et des publics qui ne semblent pas être prêts à implémenter les approches transformatrices de genre voire de travailler avec des groupes qui ne sont pas favorables à l’abandon des MGF. Elles.Ils ont fait valoir que les approches transformatrices de genre commenceront à donner des résultats lorsqu’elles incluront un public plus large, dont les personnes qui sont souvent négligées dans les programmes. Cela ouvrira également à de nouvelles considérations du sujet et peut de cette manière contribuer à un réel changement au sein des communautés.

Une leçon importante du dialogue sur les approches transformatrices de genre est qu’il ne suffit pas de s’attaquer aux MGF en tant que problème unique. D’une part, si les causes profondes des MGF ne sont pas abordées, la pratique peut diminuer mais ne sera pas complètement éradiquée. D’autre part, une approche qui n’aborde pas les MGF dans le cadre du continuum de la violence à l’égard des filles et des femmes peut conduire à une réduction des MGF alors que les autres VBG restent constantes.