En Afrique, de nombreuses lois anti-MGF sous entendent que si le consentement est donnĂ© par une femme ou une fille, les MGF ne constituent pas une infraction pĂ©nale (car elle a «choisi» dâĂȘtre excisĂ©e). (28 Too Many, 2018 (b); Yusuf C., Fessha Y., 2013)
Au contraire, dans la plupart des pays dâEurope, ainsi quâen Australie, le fait quâune fille ou une femme ait consenti ou non Ă la MGF nâaffecte pas le statut juridique de lâacte. NĂ©anmoins, dans certains pays europĂ©ens, le consentement peut rĂ©duire la sĂ©vĂ©ritĂ© de la peine. (United to End FGM)
Le fait que les MGF ne constituent pas une infraction pĂ©nale si une femme y consent est souvent considĂ©rĂ© comme une grave faiblesse des lois. Les critiques affirment que les familles, les ami.e.s et les communautĂ©s exercent une pression sociale importante sur les filles et femmes pour quâelles se soumettent aux MGF. Le consentement ne devrait donc pas avoir dâincidence sur lâillĂ©galitĂ© des MGF et cela ne devrait pas ĂȘtre admis comme un moyen de dĂ©fense de la pratique. (28 Too Many, 2018 (b); Yusuf C., Fessha Y., 2013)
Dans de nombreux pays, mais pas tous, les MGF sont illégales peu importe que la fille ou la femme y ait ou non consenti.
Les membres ont convenu que les questions de consentement et dâautonomie des femmes sur leur corps est un dĂ©bat juridique sous haute tension, avec des communautĂ©s et des militants pro-MGF avançant que les femmes ont le droit de consentir aux obligations culturelles les affectant.
Au Kenya, le dĂ©bat est trĂšs prĂ©sent et a Ă©tĂ© portĂ© jusquâaux dispositions lĂ©gislatives entourant la question des MGF par un mĂ©decin. Annemarie Middelburg lâa expliquĂ©Â :
âLe Dr Tatu est une femme mĂ©decin originaire du Kenya. Elle a dĂ©posĂ© une plainte auprĂšs de la Haute Cour de Machakos (pĂ©tition constitutionnelle no 8 de 2017) en vue de faire lĂ©galiser les mutilations gĂ©nitales fĂ©minines pour les femmes adultes qui â selon elle â devraient avoir le droit de choisir librement ces mutilations gĂ©nitales fĂ©minines. Elle affirme que lâinterdiction lĂ©gale des mutilations gĂ©nitales au Kenya (loi de 2011) est inconstitutionnelle et soutient que les femmes adultes devraient avoir la libertĂ© de consentir Ă cette pratique et le droit de supprimer leur clitoris sous la surveillance dâun mĂ©decin.â
Annemarie Middelburg a rappelĂ© lâimportance de distinguer les jeunes filles mineures, â trop jeunes pour prendre leurs propres dĂ©cisions et ne pouvant pas consentir de maniĂšre libre, Ă©clairĂ©e et significative Ă une MGF â, des femmes adultes afin dâaborder la question du consentement et des MGF.
Cependant, la question demeure: Les femmes adultes peuvent-elles consentir aux MGF ?Â
âLe Dr. Tatu soutient ce qui suit (Bhalla N., Thomson Reuters Foundation, 2018) : â Si les femmes peuvent dĂ©cider de boire, de fumer, les femmes peuvent rejoindre lâarmĂ©e, elles peuvent faire toutes sortes de choses qui pourraient leur causer du tort ou des blessures, et pourtant, elles sont autorisĂ©es Ă prendre cette dĂ©cision. Les femmes peuvent Ă©galement prendre la dĂ©cision de circoncision fĂ©minine et, une fois prise, elle devrait pouvoir accĂ©der aux meilleurs soins mĂ©dicaux pour le faire â.
Le mĂȘme dĂ©bat se dĂ©roule actuellement en Sierra Leone et au LibĂ©ria.
Anne Marie Middleburg poursuit:
 âJâĂ©tais au LibĂ©ria lâannĂ©e derniĂšre et jâai eu de nombreuses discussions avec des femmes adultes qui ont dĂ©clarĂ© quâune fois que les filles ont 18 ans, elles ont le droit de subir une MGF.â
Brenda Dora a dĂ©taillĂ© plus amplement le dĂ©bat opposant des activistes favorables aux MGF Ă des militant.e.s et institutions favorables Ă une application stricte de la loi de 2011. En effet, certain.e.s font valoir que les femmes pratiquant une MGF sous le joug dâune forte pression sociale afin dâĂ©viter la stigmatisation et sâintĂ©grer dans leur communautĂ© doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme ayant consenti Ă subir une MGF. Punir ces femmes constituerait pour certaines une deuxiĂšme peine. Il y a une pression pour quâune version du consentement motivĂ© par la pression culturelle soit introduit dans les lois.
âLe dĂ©bat sur les questions de consentement et dâautonomie des femmes sur leur corps est un dĂ©bat juridique vivement contestĂ© entre les communautĂ©s et les activistes favorables aux MGF (affirmant que les femmes ont le droit de consentir aux obligations culturelles qui les concernent) et la direction des poursuites pĂ©nales qui, en veillant Ă lâapplication intĂ©grale de la loi, a ordonnĂ© lâarrestation et la poursuite des femmes et des filles qui subissent volontairement des MGF.
Au cours des trois derniĂšres annĂ©es dans le comtĂ© de Kisii, dans lâouest du Kenya, de nombreuses femmes et filles ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©es pour avoir « volontairement » subi des mutilations gĂ©nitales fĂ©minines afin dâattĂ©nuer la stigmatisation de leur communautĂ© parce quâelles nâĂ©taient pas coupĂ©es, car la plupart dâentre elles ne sont pas autorisĂ©es Ă labourer la terre, aller chercher de lâeau dans la riviĂšre, rejoindre dâautres femmes sur le marchĂ© et enfin ĂȘtre dites âprĂȘte Ă marierâ si elles ne sont pas coupĂ©es. .
Le « consentement perçu » nâest pas un consentement au sens rĂ©el de la comprĂ©hension juridique de ce quâest le consentement, mais pourrait ĂȘtre dĂ©fini comme une « obligation dâadhĂ©rer Ă la pratique culturelle ». La sociĂ©tĂ© civile et les praticien.ne.s du droit ont dĂ©ployĂ© des efforts concertĂ©s pour tenter de dĂ©pĂ©naliser ces cas en tenant compte des circonstances les entourant; ainsi que de la modification de la loi visant Ă combler les lacunes juridiques et Ă prendre en compte les problĂšmes socioculturels et juridiques Ă©mergents.
Annemarie Middelburg a conclu en portant Ă lâattention de tou.te.s la question suivante :
â les femmes dans ces cas (oĂč les MGF sont une norme sociale forte) peuvent-elles donner leur libre consentement Ă la MGF ? â
Keyla Lumeka, juriste, a soulignĂ© quâen Belgique (Maryse A., INTACT Belgique, 2014) le consentement aux MGF ne fait lâobjet dâaucune reconnaissance lĂ©gale en vertu des trois limites au droit Ă lâautodĂ©termination et le caractĂšre illĂ©gal des MGF ne saurait, en ce sens, connaĂźtre aucune exception.
En Belgique, la loi interdit les MGF et le consentement de la victime nâest pas un Ă©lĂ©ment constitutif.
â Le fondement de lâexclusion du consentement de la victime est liĂ© aux limites assignĂ©es au droit dâautodĂ©termination de lâindividu sur son corps. Ces limites sont de trois types : le respect de lâordre public, la dignitĂ© de la personne et lâintĂ©gritĂ© de lâespĂšce. Une victime ne pourrait donc pas, par exemple, user de son accord quant Ă la pratique de la mutilation pour justifier une intĂ©gration sociale ou une nĂ©cessitĂ© en vue dâun mariage, et exempter ainsi un auteur de sa culpabilitĂ©. Au contraire, le consentement de la victime, mĂȘme sâil donnĂ©, est sans incidence : lâinfraction est en quelque sorte objective et fait abstraction de lâĂ©tat dâesprit de la personne mutilĂ©e. Cette prĂ©cision est importante puisquâaucun motif tirĂ© de la croyance erronĂ©e en matiĂšre de santĂ©, aucune justification basĂ©e sur la religion, la reconnaissance ethnique, la tradition ou encore lâintĂ©gration socioĂ©conomique ne pourra ĂȘtre invoquĂ©e pour justifier la mutilation. â
Si les travaux prĂ©paratoires de la loi pĂ©nalisant les MGF visaient principalement la protection de lâenfant dans le cadre de pratiques traditionnelles ou rituelles nĂ©fastes, la question des femmes adultes et de leur volontĂ© de subir des mutilations ou modifications gĂ©nitales sous contrĂŽle mĂ©dical nâest pas encore pleinement rĂ©solue.
âQuid dâune femme qui veut absolument ĂȘtre rĂ©infibulĂ©e par exemple suite Ă un accouchement ? Toutes les pratiques consenties, voire mĂȘme sollicitĂ©es volontairement par une personne adulte, sont-elles lĂ©galement justifiables ? â(Johnsdotter S., 2009)
Enfin, elle a rappelĂ© lâapproche protectrice quant aux violences volontaires consenties adoptĂ©e par la Belgique en conformitĂ© avec la Cour EuropĂ©enne des Droits de lâHomme (CEDH):
â La Cour de cassation belge a estimĂ© que les coups et blessures volontaires commis dans le contexte dâune vie sexuelle ne sont pas justifiĂ©s par le consentement de la victime. Tout au plus, ces comportements peuvent ĂȘtre excusables en vertu de lâarticle 8, § ler de la CEDH garantissant le droit Ă la vie privĂ©e. Une condition temporise cependant un tel droit : les faits commis ne doivent pas ĂȘtre de nature Ă porter atteinte Ă la santĂ© de la personne qui les subit et le consentement doit ĂȘtre lĂ©gal. La CEDH a cautionnĂ© cette approche (CEDH, Affaire K.A. et A.D. c/ Belgique, 17 fĂ©vrier 2005 (ECHR, 2005)) â
Cependant, en Europe et aux Ătats-Unis, la montĂ©e en puissance des chirurgies gĂ©nitales esthĂ©tiques, telles que les ârĂ©ductions des lĂšvresâ, devenues particuliĂšrement populaires dans les annĂ©es 90, soulĂšve des questions importantes sur le pourquoi une femme ou une adolescente peut consentir Ă se faire âtaillerâ ou mĂȘme retirer les lĂšvres, alors que les MGF sont pourtant illĂ©gales. La situation de deux poids, deux mesures crĂ©Ă© par la criminalisation de toutes les formes de MGF (considĂ©rĂ©es comme « traditionnelles »), dâune part, et lâacceptation de types similaires dâaltĂ©rations gĂ©nitales mĂ©dicalisĂ©es font lâobjet de discussions croissantes entre universitaires et ONG en Europe et aux Ătats-Unis. (Berer M., 2015)
Brian Earp a ainsi fait part de ses prĂ©occupations quant Ă lâexistence dun traitement discriminatoire qui autorise les modifications gĂ©nitales fĂ©minines cosmĂ©tiques mais pĂ©nalise les mutilations gĂ©nitales fĂ©minines, et a dressĂ© des parallĂšles entre les deux pratiques:
â La loi occidentale est actuellement incohĂ©rente dans sa maniĂšre de traiter lâexcision mĂ©dicalement inutile dans la mesure oĂč elle est qualifiĂ©e de « MGF » par opposition Ă une chirurgie « cosmĂ©tique gĂ©nitale fĂ©minine », Ă©tant donnĂ© que les deux procĂ©dures se chevauchent anatomiquement et sont souvent pratiquĂ©es de maniĂšre similaire. â (Earp Brian D., Shahvisi A., Cambridge University Press, 2019)
Les membres se sont montrĂ©s Ă la fois prĂ©occupĂ©.e.s par les comparaisons faites entre les deux pratiques tout en reconnaissant lâincohĂ©rence de la loi consacrant lâexistence dâun double standard. Annemarie Middelburg a ainsi avancĂ©Â :
Cette question liĂ©e Ă la capacitĂ© de consentir et Ă la pression sociale est Ă©galement Ă©troitement liĂ©e Ă la remarque de Brian Earp (et Ă la rĂ©ponse de Keyla Lumeka) qui a expliquĂ© que la loi occidentale est actuellement incohĂ©rente dans la maniĂšre dont elle traite les interventions gĂ©nitales fĂ©minines mĂ©dicalement inutiles. Je suis Ă©galement trĂšs prĂ©occupĂ© par cette situation, en particulier en ce qui concerne lâincohĂ©rence de la loi. Je conviens avec Brian que certaines formes de MGF et de chirurgie esthĂ©tique gĂ©nitale fĂ©minine (FGCS) sont souvent pratiquĂ©es de la mĂȘme maniĂšre et / ou incluent la mĂȘme procĂ©dure.
Une discussion plus approfondie sur les FGCS serait nĂ©cessaire pour Ă©claircir ce dĂ©bat et entrer plus en dĂ©tails dans la justification de ce traitement diffĂ©rentiel: â Est-il ou serait-il juste dâĂȘtre largement tolĂ©rant envers lâun et extrĂȘmement restrictif envers lâautre ? Devrait-il y avoir une cohĂ©rence dans le cadre juridique qui interdit les deux et ne prĂ©fĂšre pas lâun sur lâautre ? Que faut-il faire pour y parvenir ? â