Enjeux intergénérationnels

Le rôle de chaque génération dans l’abolition des MGF

 

Les jeunes et les personnes âgées ont des compétences et des atouts différents mais tous deux valorisables au sein de la lutte contre les MGF.

Le rôle particulier des femmes âgées : maintenir et faire avancer les traditions

Les femmes âgées jouent un rôle central dans le maintien de l’excision en tant que tradition. De nombreuses personnes dans des communautés pratiquantes considèrent la pratique comme héritée des ancêtres, comme dans la phrase souvent entendue par Shell-Duncan et ses collègues lors de leur étude au Sénégal et en Gambie: “nous l’avons trouvé chez nos grand-mères”. De plus, l’excision et l’éducation qui y étaient (ou est) traditionnellement associée, fait partie du processus pour que les jeunes femmes apprennent à se soumettre non seulement à leurs maris mais également aux femmes plus âgées dans leur communauté (dont leurs belles-mères). (Shell-Duncan et al., 2018) Selon les auteur.e.s, les communautés qu’elles ont rencontrées prêtent une forte attention au maintien des traditions, “comme moyen de promouvoir la continuité sociale, de transmettre les valeurs et la sagesse des aîné.e.s, de maintenir la hiérarchie sociale et de façonner l’identité culturelle”.

Similairement, lors de l’intégration dans la société de femmes, Bundu, au Sierra Leone, les filles et femmes apprennent à se soumettre aux femmes ainées (mères, futures belles-mères, grand-mères et d’autres femmes aînées dans la communauté).

Pourtant, l’expérience de Shell-Duncan et al. au Sénégal et en Gambie a montré qu’il y a également une volonté de la part des communautés de ré-évaluer la tradition et de façonner celle-ci sur les besoins et les réalités changeantes. Les femmes âgées semblent jouer un rôle central dans ce processus. (Shell-Duncan et al. 2018)  Cela peut paraître paradoxal dans un premier temps puisqu’on entend souvent dire que l’excision est perpétué par les grands mères pour respecter les traditions ancestrales. Selon certaines idées préconçues, les femmes âgées ne seraient pas capables d’intégrer de nouvelles idées ou d’apprendre de nouvelles pratiques. Or, Shell-Duncan et al. et d’autres auteur.e.s comme Aubel (2004), estiment que les femmes âgées sont bien placées pour faire bouger la pratique des MGF.

Pour faire germer les graines d’un changement durable, il faut se servir de la hiérarchie sociale qui rend plus transparente les structures de pouvoir au sein de la société. Qui pourrait avoir plus  le pouvoir de faire changer la pratique que celles qui la perpétuent ? Lorsque la sagesse des grands-mères et des autres personnes âgées est reconnue de tou.te.s et que la tradition a pour fonction de conserver cette hiérarchie en transmettant des valeurs telles que le respect des aînés, les grands-mères peuvent aussi devenir des agents de changements positifs. Plus que les jeunes, les femmes âgées peuvent négocier le changement de manière durable.

“Malgré leur rôle de gardiennes de la tradition, nous avons trouvé de nombreux cas où les points de vue des femmes âgées sur les MGF/excision montrent une grande fluidité […] En substance, elles assurent la continuité de la tradition et de l’identité culturelle en négociant soigneusement le changement. En revanche, les femmes plus jeunes qui n’ont pas l’autorité morale nécessaire pour remettre en question les normes et contester la coutume des aînés étaient beaucoup moins susceptibles d’exprimer leur ambivalence ou leur opposition aux normes entourant les MGF/excision.” (Shell-Duncan et al. 2018)

Ainsi, des projets comme les “Grandmother projects” (les projets des grands-mères), mis en œuvre en Ouganda ou encore au Sénégal,  s’appuient sur le rôle des femmes âgées pour favoriser le changement social. Dans la région d’Amudat, en Ouganda, 50 grands-mères ont ainsi été formées en vue de plaider en faveur de l’abandon des MGF à l’aide de messages appropriés. En 2013, les grands-mères avaient organisé 10 séances d’échange afin d’encourager l’abandon des MGF auprès de 114 filles. Ce programme est encore en cours et soutenu par le Programme conjoint UNFPA-UNICEF (2019).  Au Sénégal, un autre “grandmother project” a été mis en place par World Vision en 2008 avec l’objectif de promouvoir l’adoption d’attitudes communautaires positives et de normes sociales positives concernant les MGF, les mariages précoces et les châtiments corporels ; et réduire les grossesses chez les adolescentes. L’approche innovante intégrait un dialogue intergénérationnel dans les activités communautaires et scolaires et la participation active des aînés, en particulier des grands-mères. Les évaluations du projet ont montré que les grands-mères pouvaient être considérées comme des agents inestimable de changement de par leur rôle au sein de la communauté et de leur famille. De plus, le projet a permis de renforcer les relations et la communication entre les différentes générations, ce qui a permis une sensibilisation efficace contre les MGF et une évolution positive des traditions culturelles. (Baumgartner, J./Together women rise, 2015)

L’apport des jeunes dans le dialogue : briser les tabous


Les jeunes femmes ont un rôle central à jouer dans la perpétuation ou la fin des MGF notamment parce qu’elles sont directement affectées par la problématique et parce qu’elles sont les futures générations de parents et de décideur.e.s dans leurs communautés.

Évidemment, pour certaines filles et jeunes femmes, s’engager dans la lutte contre les MGF est une question de se protéger soi-même et/ou de protéger d’autres jeunes filles de l’excision. Il s’agit de faire entendre sa voix dans une société où la pratique peut être fortement ancrée et peu mise en question. Et ce face à des personnes plus âgées qui détiennent le pouvoir de décision sur la pratique.

Pour les jeunes personnes qui vont ou viennent d’entrer dans le monde de la sexualité, il est aussi important de pouvoir libérer les tabous en parlant des questions de sexualité et en transmettant des informations, y compris sur les problèmes d’ordre sexuel que peuvent subir les femmes et les filles excisées. C’est d’autant plus important que les jeunes femmes et hommes pourront ensuite dialoguer avec leurs futurs enfants de façon plus apaisée.

Les jeunes peuvent aussi être impliqué.e.s dans la lutte en tant que génération de futurs leaders ayant une responsabilité citoyenne en termes de changement. Les initiatives dirigées par les jeunes peuvent renforcer la prise de responsabilité du gouvernement. Pour les adolescents, et plus particulièrement pour les filles, la défense de causes sociétales, telles que la lutte contre les MGF, peut aussi renforcer leur empowerment au sein de la société (Coppieters, 2012)

La vie sociale de la jeunesse est aujourd’hui fondamentalement liée au sujet des nouveaux moyens de communication, des réseaux sociaux et autres nouvelles technologies. Contrairement aux personnes âgées dont la transmission est plus souvent orale, les jeunes apportent de nouveaux modes de communication dans la lutte contre les MGF contrairement aux personnes plus âgées qui transmettent à l’oral leurs expériences, leur vécu. Elles et ils jouent ainsi un rôle clé dans la transmission des messages anti-MGF à travers les quatre coins du monde. En effet, aujourd’hui de nombreuses campagnes contre les MGF se font désormais via des hashtags sur Twitter, des vidéos Youtube ou des podcasts mettant en avant des témoignages de personnes concernées.

Les stratégies de dialogues intergénérationnels favorisent la légitimité pour les jeunes de pouvoir s’exprimer face aux personnes plus âgées, de donner leur avis et développer leurs idées au sujet des MGF. Cela amène une prise de conscience de l’importance des enfants et des jeunes comme acteurs du changement et les replacent au centre de la réflexion sur le futur du “vivre ensemble” dans la communauté.

Des organisations de lutte contre les MGF ont visé les jeunes spécifiquement afin de leur permettre de lever leurs voix contre la pratique. Un exemple sont les ambassadrices jeunes du réseau européen End FGM EU – des jeunes femmes originaires de pays où l’excision est une pratique courante –  qui ont lancé la chaine Youtube “Purple Chair”. Dans l’une de ces vidéos, Salamata Wone dialogue avec sa mère, elle-même militante contre les MGF.

  • Selon vous, quel rôle jouent les personnes jeunes et plus âgées au sein de votre communauté, en termes de prise de décision pour le maintien ou l’abandon des MGF ?
  • Comment peut-on impliquer les jeunes, les adultes, les personnes âgées?
  • Comment peut-on faciliter le dialogue entre les différentes générations ?
 
 
 
 
 
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