Enjeux intergénérationnels

Les MGF : le tabou de l’exil

 

La situation des femmes migrantes qui ont fui leur pays pour protéger leur(s) filles de l’excision est particulière car elles se retrouvent dans un nouvelle culture, où l’excision est condamnée, à vouloir protéger leur(s) propres filles toute en voulant les inscrire dans leur héritage culturel, avec les valeurs qui y sont dominantes. Selon les psychologues auteur.e.s du guide pour psychologues “Femmes, Excision, Exil” (GAMS Be, 2015), le travail autour de l’appartenance au groupe constitue une partie importante du travail thérapeutique avec les femmes migrantes ayant subi l’excision (comme celles ayant fui un mariage forcé dans leur pays d’origine). 

“[D]ans le cadre d’un accompagnement individuel, vous [thérapeutes] pouvez aider la personne à se reconnecter au positif qui lui a été transmis par ses parents. Il est important de prendre conscience des valeurs et rituels de sa famille et de là, pouvoir choisir en pleine conscience ce que l’on garde et ce que l’on abandonne. Ceci constitue la base même du travail préventif des MGF. Le travail autour de l’arbre généalogique peut aider dans cette recherche. Il peut aussi éveiller l’empathie pour les membres de la famille qui sont certes responsables des violences subies, mais aussi victimes depuis de nombreuses générations.” GAMS Be, 2015, p.107

De plus, les femmes ayant fui leur pays à cause de l’excision (ou du mariage forcé) se retrouvent souvent à être des “pionnières au sein de leur famille”.
 “Ainsi, elles sèment des graines de révolte dont les générations futures hériteront. Protéger une petite fille de l’excision, c’est la sortir de la lignée des rôles traditionnels attendus par une communauté et d’un système inégalitaire. Elles se situent à un tournant où les femmes font évoluer la condition autour de l’excision.”
GAMS Be, 2015, p.31

Une autrice anonyme a également partagé sa compréhension des MGF en tant que traumatisme intergénérationnel sur le blog de l’ONG Sahyio, organisation travaillant avec les communautés de la diaspora asiatique touchées par les MGF. Elle explique combien il lui a été difficile, en tant que femme issue d’une communauté pratiquant les MGF et n’ayant pas elle-même subi cette pratique, d’aborder la question avec sa mère:

“L’ironie est que [les MGF sont] une pratique courante transmise de génération en génération, mais c’est un secret bien gardé. Personne n’en parle, sauf si c’est votre tour de la subir.(…) Je ne sais pas pourquoi j’ai attendu la fin de l’année pour demander à ma mère pourquoi les MGF/E sont si répandues dans notre communauté, mais j’étais peut-être pétrifiée par sa réaction. (…) Le type de procédure de MGF que ma mère a subi est courant chez les femmes somaliennes. Connu sous le nom d’infibulation, il s’agit généralement de la forme la plus grave. Ma mère a été très franche dans son expérience et a révélé de manière très vivante le traumatisme et la douleur qu’elle a subis.”

L’autrice a ensuite expliqué pourquoi elle pense que sa grand-mère a obligé sa fille à subir une MGF alors qu’elle en avait elle-même souffert :

“Si je devais décrire ma grand-mère, la première chose qui me viendrait à l’esprit serait son indépendance. Elle est féroce, aimante, généreuse et bruyante. Elle n’hésiterait jamais à exprimer son opinion. Il est choquant que ma grand-mère ait défendu la pratique des MGF/E parce que cela ne correspondait pas à sa personnalité. C’est là que le traumatisme intergénérationnel entre en jeu. Vous subissez une expérience traumatisante et l’une des façons de faire face à cette expérience spécifique est de la normaliser. Si l’on ne vous fournit pas les mécanismes appropriés pour gérer le traumatisme, il se manifestera souvent aux dépens de vos proches.”

Selon une membre, psychothérapeute, dans l’Unité des soins des femmes excisées de l’hôpital de Bicêtre (Paris, France), certaines personnes pensent à tort que l’excision n’est une souffrance avant tout pour les femmes nées en France, dans une « culture française », mais pas pour les femmes nées dans le pays d’origine. Pour les patientes migrantes, la règle du silence est renforcée par la “honte” d’avoir été soumise à cette coutume que ne connaissent pas les “Françaises”. Certaines des patientes ne savent même pas si elles ont été excisées. Fall constate chez ses patientes que le silence autour des MGF renforce non seulement le risque que la mutilation s’accompagne d’un psycho traumatisme important mais peut aussi nuire aux relations familiales ainsi qu’au sentiment d’identité et d’appartenance de jeunes survivantes.

« Si certaines de mes patientes arrivent à ouvrir l’échange, aucune n’a osé proposer à sa mère de l’accompagner à l’hôpital. Les actions qui permettent aux générations d’ouvrir la parole me paraissent plus que salutaires, tant pour la transmission d’une autre dimension de la culture que celle de l’excision que pour remédier aux conséquences post-traumatiques de l’excision. »

Par ailleurs, dans l’exil, beaucoup de violences peuvent être perpétrées et il est compliqué pour des parents de vivre avec ces traumatismes tout en essayant de donner à leurs enfants un cadre de vie apaisé. Les enfants peuvent ne pas comprendre pourquoi ils ont quitté leur pays natal, leurs ami.e.s, ils peuvent se sentir trahis alors que cet acte a été réalisé pour les protéger. C’est pourquoi, le dialogue entre membres de la même famille est essentiel. Les psychologues sont là pour faciliter cette entrée en communication et permettre à chacun de s’exprimer sur ce qu’il ressent tout en respectant la sensibilité des enfants. Le dialogue intergénérationnel représente finalement un moyen de dévoiler la vérité d’un vécu, de choix, de blessures qui permet de pardonner pour certain.e.s ou de mieux comprendre ses proches.

 
 
Sur le même thème

Le rôle de chaque génération dans l’abolition des MGF

Enjeux intergénérationnels Le rôle de chaque génération dans l’abolition des MGF   Les jeunes et les personnes âgées ont des compétences et des atouts différents mais tous deux valorisables au sein de la lutte contre les MGF. Le rôle particulier des femmes âgées...

read more