Pourquoi mettre en place un dialogue intergénérationnel autour des questions de MGF?
Dans des communautés pratiquant les MGF, tels que le Sénégal et la Gambie, les MGF sont étroitement liées au maintien de la tradition en tant que moyen de vénérer les ancêtres et les valeurs sociales qu’ils/elles transmettent. De plus, la pratique est également centrale dans l’apprentissage du respect des ancien.ne.s, y compris au sein de la lignée intergénérationnelle et hiérarchique de femmes. (Shell-Duncan, et al. 2018)
Les MGF sont souvent perpétuées de génération en génération dans le silence général et sans que cette “tradition” puisse être questionnée. Comme pour tout sujet touchant à l’intimité, à la sexualité, aux violences, il est particulièrement difficile pour une jeune personne d’aborder l’excision avec sa mère, sa grand-mère, ou d’autres personnes ainées de sa communauté, car cela peut être vécu comme un manque de respect.
En partant de ce constat, l’une des stratégies qui s’impose pour lutter contre les MGF est le dialogue entre les générations. Comprendre pourquoi l’excision est pratiquée, pourquoi les mères qui ont souvent elles-mêmes souffert, décident de cette souffrance pour leur fille à leur tour, pourquoi la majorité de la population cautionne ? Ces questions sont nécessaires pour faire prendre conscience qu’il existe des solutions alternatives et soulever le poids immense du tabou qui règne en maître dans certaines communautés. Le dialogue est l’ennemi du secret bien gardé.
Par ailleurs, chaque ‘génération’ joue un rôle spécifique dans le maintien, ou l’abandon, de la pratique.
Le dialogue intergénérationnel peut se faire à différents niveaux: au niveau communautaire ou au niveau intra-familial.
Les dialogues intergénérationnelles communautaires
Tout d’abord, au niveau communautaire, le dialogue peut se faire entre personnes appartenant à différentes générations, dans le cadre de discussions plus ou moins formelles organisées implémentées dans le cadre d’un projet ou par la communauté elle-même. Plusieurs discussions ont lieu au niveau de la communauté, des fois organisées par les leaders de la communauté mais dans la plupart des cas, soutenues par l’État ou les programmes gouvernementaux. Il existe plusieurs modèles et stratégies de mise en place de dialogue communautaire. Par exemple, le UNFPA a publié ce guide pour la préparation, mise en œuvre et évaluation de dialogues communautaires se focalisant sur la violence basée sur le genre.
Un projet de dialogue intergénérationnel avait été mis en place en Guinée en 2003, dans le cadre du projet d’Appui aux initiatives pour l’abandon des mutilations génitales féminines (MGF). A travers des ateliers lors desquels des groupes de femmes ou d’hommes de différentes générations ont été invité.e.s, le projet a permis à chaque génération de s’exprimer et d’être écoutée par l’autre. Les deux générations ont pu évaluer leurs convictions d’une position réflexive
- Quelles sont les différences entre notre(s) histoire(s) et celle(s) des autres ?
- Comment sommes nous arrivés a notre point de vue ?
- Si nous étions dans leur position, verrions-nous les choses différemment ?
- Où pouvons-nous nous approcher, et où voulons nous maintenir nos différences ?
L’expérience de l’un de ces ateliers a permis de mettre en valeur les différences de perception de l’excision entre les générations:
“Les filles demandaient unanimement l’abandon de la pratique de l’excision. Elles rejetaient l’argument selon lequel l’excision représentait une initiation avec des fonctions éducatives. […] La majorité des femmes âgées reconnaissait ces arguments, mais elles faisaient leur plaidoyer pour le « faire semblant » : une coupure minimale du clitoris ou simplement une visite d’un agent de santé qui prétend d’exciser et met un pansement. De leur point de vue, les conséquences sociales pour les filles et femmes non excisées seraient trop dures alors que le « faire semblant » représente une solution acceptable pour une période de transition.”
L’évaluation du projet a montré que les familles de participant.e.s avaient un niveau de communication significativement plus élevé entre les parents et les enfants, y compris sur les MGF, comparé aux familles qui n’avaient pas participé au projet.
L’agence allemande de développement (GIZ), qui a soutenu le projet guinéen sur les MGF, a contribué à la mise en œuvre de dialogues intergénérationnels dans 11 pays sur une série de sujets thématiques. Leur site web sur les dialogues intergénérationnels (en anglais) donne un aperçu des expériences de dialogue mises en œuvre par la coopération et leurs partenaires, à ce jour. Une boîte à outils spécifique basée sur ce travail peut également être trouvée ici (en anglais).
Les dialogues intergénérationnels au niveau intrafamilial
A l’échelle intra-familiale (en famille), le dialogue intergénérationnel peut se faire entre membres de la même famille, telle qu’une fille qui demande à sa mère pourquoi elle a été excisée ou pourquoi, au contraire, sa mère a choisi de la protéger contre l’excision.
La famille est une institution de socialisation primaire qui permet à l’individu de construire son rapport à l’Autre, de devenir membre de la société. Toutefois, “ce groupe est traversé par des tensions, des conflits et des assignations qui sont liés à la fois aux constructions sociales et subjectives de ses membres”, ainsi si la famille joue ce rôle dans la construction sociale et identitaire de l’individu, elle est elle même fondée sur des contextes spécifiques, historiques, sociaux, politiques (Bessaoud-Alonso Carvalho Romagnoli, 2019).
Il est parfois difficile de parler de ses traumatismes, de poser des questions à sa propre famille sur des sujets sensibles tels que l’excision, alors même qu’on s’exprime publiquement sur le sujet. En effet, au sein de la famille, ce dialogue confronte la personne à des regards familiers, à des jugements ou à la peur d’être rejeté. Khadidiatou Diallo, fondatrice de l’association GAMS Belgique qui lutte contre les MGF, nous raconte comment elle a enfin osé dire à sa famille qu’elle était opposé à la pratique et qu’elle participait à la lutte pour y mettre fin:
“En 1995, j’ai décidé de parler de l’excision avec mes parents car je suis rentrée au Sénégal avec ma fille cadette, née en Belgique. Elle n’avait que 6 mois, elle ne savait pas encore marcher. Je suis arrivée la nuit, et le lendemain matin j’ai convoqué toute ma famille. J’avais commencé à travailler sur l’excision en Belgique dans le cadre de mes cours de langue, et j’étais en train de lancer une association pour lutter contre la pratique [le GAMS Belgique]. Je me suis dit, ‘C’est le moment, tu vas voir si tu as le courage de parler de ça avec tes parents’. Car si moi-même j’arrivais pas à aborder ce sujet avec ma famille, comment pouvais-je créer une association et parler de cela en public ? Il fallait que je commence avec ma famille.”