Loi & MGF

Burkina Faso : Un cadre légal fort et une implémentation innovative

 

Le gouvernement burkinabé a adopté en novembre 1996 une loi interdisant et sanctionnant la pratique des mutilations génitales féminines (art. 380 du Code pénal). La Constitution du Burkina Faso (adoptée en 1991) ne fait toutefois pas explicitement référence à la violence à l’égard des femmes et des filles, aux pratiques préjudiciables ou aux MGF. En 2018, le Parlement a adopté un nouveau projet de loi, incriminant davantage les actes constitutifs de violence à l’égard des femmes et des filles et prévoyant des peines pour la réalisation de MGF.

L’article 380 du Code pénal définit clairement les MGF et criminalise et punit quiconque «porte atteinte ou tente de porter atteinte à l’intégrité de l’organe génital de la femme par ablation totale, excision, infibulation, par désensibilisation ou par tout autre moyen» (c’est-à-dire effectuer des MGF). Il prévoit également des sanctions si les mutilations génitales féminines entraînent la mort. Toutefois, la loi ne fait pas explicitement référence à ceux qui achètent, aident ou encouragent la pratique.

Les MGF médicalisées sont illégales au Burkina Faso mais ne semblent pas significatives dans le pays (moins de 1% des femmes âgées de 15 à 49 ans seraient coupées par un professionnel de la santé).

Les lois anti-MGF semblent avoir été mieux appliquées au Burkina Faso que dans les pays voisins. On s’inquiète donc de plus en plus que les familles emmènent leurs filles au-delà des frontières pour éviter les poursuites dans les pays où la législation n’existe pas ou est mal appliquée (ex le Mali, le Niger, le Ghana et la Côte d’Ivoire).

En fait, le Burkina Faso est reconnu comme l’un des rares pays d’Afrique où la loi sur les MGF est effectivement et systématiquement appliquée. Cela peut être attribué à : une volonté politique forte, la traduction des lois dans les langues locales, la participation des membres de la communauté.

“Une approche innovante des procédures judiciaires entreprises au Burkina Faso consiste à utiliser des tribunaux communautaires mobiles (audiences foraines), qui confient l’application de la loi directement aux communautés qui pratiquent. Ceux-ci ont très bien réussi à sensibiliser le public à la loi et à associer tous les membres de la communauté et les médias locaux au processus de détermination de la peine pour les cas de MGF. “ (Nabaneh S. and Muula S. A., 2019)

Le Burkina Faso a un système de suivi de l’application de la loi criminalisant les MGF. Par rapport à la situation dans d’autres pays, le Burkina Faso semble être un bon exemple en termes de mise en œuvre de la loi anti-MGF.

 

Histoire du mouvement contre les MGF au Burkina Faso

 

“L’environnement actuel du Burkina Faso – favorable à l’élimination des MGF au niveau aussi bien institutionnel que communautaire – a été développé grâce à des efforts soutenus sur une longue période. Ces efforts ont débuté durant la colonisation, lorsque les missionnaires catholiques ont essayé de mettre fin aux MGF en menaçant d’excommunier ceux qui les pratiquait.” (UNFPA Regional Office for West and Central Africa, 2018)

“Depuis les années 1960, des campagnes de sensibilisation contre les MGF ont été organisées dans le pays, mais à cette époque, elles ont fait face à une vive résistance de la part des chefs traditionnels. En 1975, lors d’une émission de radio nationale, les MGF ont été condamnées pour la première fois. Dans les années 80, le soutien du gouvernement à la campagne visant à éliminer les MGF a pris son envol et des séminaires sur la pratique ont été organisés. Le Comité national de lutte contre les MGF a été créé en 1990, avant même l’adoption de la loi. Par la suite, ce comité national a été transformé en conseil national et joue un rôle très important dans la mesure où il assure la liaison avec 13 ministères, les droits des femmes et d’autres ONG, des responsables religieux et communautaires, des responsables de l’application de la loi et le pouvoir judiciaire. En 1992, un premier Plan d’Action National (PAN) a été élaboré, la loi a été adoptée en 1996, un deuxième PAN en 1999 et un troisième en 2009. Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, de nombreuses condamnations ont abouties à l’emprisonnement ou à la condamnation de coupeurs et de complices. 

Pour vous donner une idée, voici quelques statistiques : entre 1997 et 2005, 95 coupeurs et parents ont été condamnés pour avoir pratiqué des MGF. Entre 2005 et 2009, 40 exciseuses et 648 parents ont été poursuivi.e.s. Entre 2009 et 2015, 384 personnes (dont 31 exciseuses) ont été condamnées. Remarquablement, comme le montrent ces chiffres, ce ne sont pas les exciseuses mais principalement les complices qui sont poursuivis. La peine la plus courante pour la pratique des MGF était d’un peu plus de trois mois de prison.” (UNFPA Regional Office for West and Central Africa, 2018) 

Anne-Marie Middelburg

 

Un processus long

 

Annemarie Middelburg a, tout d’abord, insisté sur les réticences premières de la société burkinabé face à la loi, aux mesures prises dans ce cadre et au combat pour l’abandon des MGF en général:

“Il est important de réaliser que, bien que le Burkina Faso soit connu et reconnu pour cette approche efficace en matière d’application de la loi, cet objectif n’a pas été atteint du jour au lendemain, comme l’illustre un rapport de 2009 (UNFPA, 2009) qui notait: 

‘Au Burkina Faso, comme dans beaucoup de pays en développement, les rouages de la justice tournent lentement; l’application de lois contre des pratiques culturelles profondément ancrées telles que les MGF / E pose de nombreuses difficultés ‘

Une exemple concret: lorsque j’ai interviewé des policiers du Burkina Faso il ya quelques années, ils m’ont expliqué que lors de l’adoption de la hotline SOS (utilisée pour la dénonciation anonyme de cas de MGF à la police), des personnes avaient appelé le numéro pour se plaindre de son existence et demander aux policiers d’arrêter de combattre les MGF. Le succès du Burkina Faso nous montre que les progrès peuvent être accélérés grâce à un engagement et à une collaboration novatrice entre les secteurs au fil du temps.”

D’un point de vue judiciaire, après l’adoption de la loi, beaucoup de condamnations avec sursis ont été prononcées. La raison principale est, selon Annemarie Middelburg toujours, que les juges estimaient que mettre les deux parents en prison n’allait pas dans le sens du meilleur intérêt de l’enfant. De plus, la plupart des prisons n’avaient pas de sections spécifiques pour les femmes, mettant ainsi les femmes dans des conditions d’insécurité et posant des problèmes d’hygiène pour ces dernières. Néanmoins, le constat a été fait que la population comprenait mal le concept de condamnation avec sursis. Quand les condamnés n’allaient pas en prison, ils avaient l’impression qu’ils n’avaient rien fait de mal.

“Jusqu’à aujourd’hui, c’est un grand dilemme pour les fonctionnaires exerçant dans le cadre du système judiciaire et les opinions diffèrent quant à savoir si les condamnations avec sursis sont ou non une bonne alternative. Quand j’analysais les statistiques relatives aux peines de prison au cours temps, j’ai pu clairement constater que les juges font aujourd’hui plus fréquemment le choix de prononcer des peines de quelques semaines à un mois de prison plutôt que de sursis. ”

Joséphine Wouango a aussi invité à relativiser la rapidité avec laquelle la loi a connu un succès au Burkina Faso. Le contenu même de la loi a évolué au cours du temps afin d’être progressivement durci et la baisse du taux de prévalence des MGF n’a pas été si évidente:

“La loi anti-MGF de 1996 a été révisée en 2018 pour la durcir et sanctionner davantage (ce qui est nouveau : ceux qui font l’apologie de l’excision sur les réseaux sociaux seront poursuivis ; en cas de décès, la peine est désormais de 21 ans de prison contre 11 ans dans la loi de 1996 ; si un agent de santé pratique l’excision, c’est la peine maximale, etc.)  

Dans les statistiques, l’on observe une LÉGÈRE baisse (de 13,3% en 2010 à 11,3% en 2015 chez les 0-14 ans selon l’Enquête Multisectorielle Continue).”

 

Quelles mesures ont été mises en place ?

 

D’après Anne-Marie Middleburg, les méthodes innovantes adoptées par le Burkina Faso sont le résultat du Comité National qui a soutenu que la loi seule était insuffisante pour éliminer les MGF.

” Ce qui est certain, est que le SP/CNLPE est conscient que loi seule ne saurait être l’unique solution. C’est pourquoi ce département a fait (et fait toujours) un très grand travail de sensibilisation, il communique beaucoup dans les différentes langues nationales pour toucher les zones rurales ; mais en même temps le SP/CNLPE fait appliquer la loi, et la justice sanctionne lorsque des cas sont avérés. ” 

Ainsi, de nouvelles solutions ont été pensées et mises en œuvre au Burkina Faso :

  • Les approches innovantes comme la ligne téléphonique gratuite, les audiences foraines, les patrouilles dissuasives dans les villages restent au cœur de l’action du SP/CNLPE ;
  • Le but des audiences foraines est double 
    • sensibiliser d’abord, expliquer les raisons de l’interdiction et les méfaits de la pratique
    • sanctionner pour montrer qu’on ne plaisante pas, mettre en garde tous ceux qui seraient tenté d’exciser leurs filles

Claudine Ouedraogo Kiswendsida, originaire du Burkina Faso a donné un aperçu du degré de connaissance de ladite loi par la population:

“Dans nos zones d’intervention, nous effectuons des sensibilisations terrain dans les villages à travers des causeries, débats et des théâtres forains. Depuis 2015, lors de nos sorties, nous évaluons le niveau de connaissance des participant.e.s. Nous n’avons pratiquement jamais rencontré un village n’ayant aucune connaissance de la loi. Les villageois ignorent plutôt les raisons réelles de l’interdiction de l’excision ou n’y croient simplement pas.

Concernant la question sur la période d’amnistie pour éduquer la population, je peux dire qu’afin de rendre effective l’application de la loi, il a d’abord fallu mener des campagnes de sensibilisation (télé, radio, grand public, causeries éducatives, théâtre fora, etc.) pour que la population Burkinabé ait connaissance de la loi. C’est ce qui a conduit à l’expérimentation des audiences foraines. En effet, pendant plusieurs années, il y’a eu énormément de condamnations avec sursis. On supposait qu’il y avait encore des zones non touchées par la sensibilisation sur la loi, et ceux qui allaient à l’encontre de ladite loi, attestaient aussi n’avoir jamais entendu parler de son existence. Pour notre part, il semble bien que les auteurs de ces infractions soient aujourd’hui bel et bien imprégnés de l’existence de la loi.

Ces dernières années au regard de la clandestinité de la pratique, il est évident que plus de 90% de la population est informée de l’existence de la loi contre les MGF. Il est de toute évidence que celui qui l’ignore n’a nullement de raison de se cacher pour pratiquer. C’est certainement ce qui a amené la révision de la loi pour la rendre plus ferme. “

 

Quels sont les défis à l’heure actuelle ?

 

La lutte contre les MGF au Burkina n’est pas encore gagnée et il reste aujourd’hui toujours des points de tensions et efforts à fournir pour parvenir au plein abandon des MGF dans le pays.

Tout d’abord, Joséphine Wouango rapporte que la pratique persiste encore. De plus en plus clandestine comme avancé par Claudine Ouedraogo Kiswendsida, et plus souvent pratiquée au-delà des frontières nationales. La loi n’est pas uniformément respectée sur le territoire et la pratique des MGF devient plus difficilement détectable.

” La loi est connue, les gens peuvent même en réciter des articles, mais pourquoi la pratique continue ? Pourquoi des familles traversent la frontière pour exciser leurs filles au Mali ? ” 

Depuis 2018, il y a eu des cas de groupes de filles qui ont été excisées à plusieurs reprises dans différents endroits du pays. Le SP/CNLPE enchaine des audiences foraines … C’est dire que le contournement de la loi persiste ! “

Par ailleurs, les mesures sont coûteuses à mettre en place et à maintenir, trouver les fonds nécessaires à la pérennisation du travail déjà effectué est toujours un enjeu important aujourd’hui.

” Toutes ces actions innovantes au Burkina Faso (audiences foraines, patrouilles dissuasives, etc.) ont un coût et il faut des ressources financières permanentes pour les pérenniser, ce qui reste un défi pour le département en charge de la lutte contre l’excision dans le pays. “

Enfin, Joséphine Wouago et Annemarie Middelburg ont souligné un autre problème lié au manque de données et études sérieuses sur l’acceptation de la loi par les communautés:

” Le SP/CNLPE et ses partenaires ont le même besoin aujourd’hui : avoir des études très approfondies, avec une immersion au sein des communautés pour comprendre ce qui fonctionne et comment cela fonctionne. “

” Étant donné que ces statistiques proviennent d’enquêtes basées sur des déclarations, on ne sait pas avec certitude si la baisse est due effectivement et uniquement à l’application de la loi ou s’il y a des fausses déclarations (de non-excision), l’effet de la ‘désirabilité sociale’, puisque les gens savent que la pratique est interdite. Il faut donc plus de recherches pour documenter cette légère baisse, confirmer qu’elle est effective et en découvrir les raisons. “

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