Sauver la nouvelle génération de l’héritage traumatique perpétué depuis des siècles
Le concept de traumatisme intergénérationnel a été identifié après la seconde guerre mondiale lorsque des psychologues se sont rendus compte que les générations descendantes des survivant.e.s de l’Holocauste étaient sur-représenté.e.s dans les consultations pour des problèmes de santé mentale, tels que des cauchemars et des problèmes affectifs et de comportement. Le trauma original des grands-parents semblait donc avoir une répercussion chez les petits-enfants (Nos pensées, 2017). Le traumatisme intergénérationnel désigne ce phénomène de transmission, de façon souvent inconsciente, du traumatisme d’un.e parent à son enfant.
Dans le cas des MGF, la douleur que l’on associe au fait d’avoir vécu la pratique est souvent perçue comme étant individuelle. Or, celle-ci est empêtrée dans les relations familiales, intergénérationnelles. Les femmes qui ont subi une MGF portent non seulement le traumatisme de la pratique mais ont également sur leurs épaules le fardeau de ne pas se plaindre, de ne pas se préoccuper de leur santé mentale et d’intérioriser que les souffrances sont normales.
C’est ce qu’explique Venoranda R. Kuboka, thérapeute pour enfants et adolescent.e.s et chef d’équipe à Youth Changers Kenya :
“Au Kenya, le traumatisme connu par les femmes et filles est d’autant plus important qu’elles sont incitées à ne pas parler de ce qu’elles ressentent, à cacher leur douleur et cette sensation d’abrutissement à laquelle elles sont confrontées. Les survivantes finissent par souffrir en silence durant des années”.
Le déni de leur souffrance et ce mépris pour l’expression de leur ressenti rend encore plus difficile de parler plus tard de ce qu’elles ont vécu, les personnes ont alors tendance à vouloir le normaliser.
“Vous endurez une expérience traumatisante et l’une des façons de faire face à cette expérience spécifique est de la normaliser. Si on ne vous fournit pas les mécanismes appropriés pour gérer le traumatisme, celui-ci se manifestera souvent aux dépens de vos proches.”
Une auteure anonyme au sujet de la position de sa grand-mère vis-à-vis de l’excision, sur le blog de l’ONG Sahiyo
Ainsi, Venoranda et Joanny Bassolé, psychologue et clinicien burkinabé, soulignent l’importance d’entamer un dialogue entre les générations afin de sortir du cercle vicieux, permettre aux générations futures de comprendre le traumatisme des générations antérieures et arriver à mettre fin à la pratique des MGF.
“Le conflit autour des MGF est relégué dans l’espace politique et social mais n’est pas traitée en tant que question intergénérationnelle – comme quelque chose transmis aux générations suivantes et devant être perpétué. Or, à mon avis, cette dimension a de l’importance quand on en vient à parler de santé mentale. C’est pourquoi la question des MGF gagnerait à être davantage discutée au sein des familles.”
Joanny Bassolé, psychologue et clinicien burkinabé
Selon le psychologue, le dialogue intrafamilial entre générations peut permettre de rompre la chaîne de souffrances fortifiées de génération en génération. Cet avis est partagé par Farzana Doctor, psychothérapeute et survivante d’une MGF :
“la thérapie se consacrant au système familial peut aider à questionner comment les relations et sentiments envers les membres de la famille sont affectés par la pratique des MGF.”
Lors de la discussion sur la santé mentale organisée par la CoP l’année dernière, dans laquelle Farzana s’était exprimée, les expert.e.s ont également conclu que les discussions intergénérationnelles doivent également être encouragées pour lier le parcours de la guérison personnelle des survivantes à celui de la protection des générations à venir. Parler des MGF avec ses enfants, avec ses parents et sa famille étendue, avec les membres de sa communauté, permet de guérir et de protéger les générations futures de l’excision.
Il est également important de rappeler que les MGF peuvent ne pas être la seule violence sexuelle subit par les survivantes. En effet, les femmes dans les communautés concernées, sont également susceptibles d’avoir subi d’autres violences sexuelles, agressions, mariage forcé, viols. La culture du silence qui entoure la pratique peut créer le contexte d’une mémoire traumatique qui place la famille au centre de la culpabilité. Ces personnes peuvent alors se demander pourquoi leur famille n’a rien fait pour les protéger.
- Comment pouvons-nous comprendre et travailler sur le trauma intergénérationnel provenant des MGF ?