Loi et MGF, sommes-nous face à une crise de mise en œuvre ?

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Par Cynthia Umurungi, modératrice de la CoP MGF, et Caroline Lagat, Chargée de Programme « End Harmful Practices » à Equality Now

Les mutilations génitales féminines (MGF) sont une forme grave et extrême de discrimination basée sur le genre, qui a été reconnue comme une violation du droit des femmes et des filles à être protégées de la torture. Alors qu’il est largement admis que les MGF sont principalement pratiquées en Afrique, Equality Now et ses partenaires ont constaté dans leur rapport Les Mutilation génitales féminines : un appel à une réponse mondiale que les MGF sont présentes dans 92 pays. Cela signifie donc qu’il s’agit d’une pratique mondiale.

D’après ce rapport, parmi les pays disposant de données représentatives au niveau national sur les MGF, telles que les Enquêtes Démographiques et de Santé (EDS), les lois contre ces pratiques sont les plus courantes sur le continent africain. En fait, 55% de toutes les lois spécifiques contre les MGF dans le monde sont appliquées dans 28 pays d’Afrique. Sur ces 28 pays, le Kenya, le Bénin, l’Érythrée, la Guinée-Bissau et l’Ouganda ont promulgué des lois nationales spécifiques interdisant les MGF, tandis que d’autres les ont interdites dans le cadre d’autres lois existantes. Ces pays comprennent le Burkina Faso, le Cameroun, la République Centrafricaine, le Tchad[1], la Côte d’Ivoire, Djibouti, l’Égypte, l’Éthiopie, la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Mauritanie, le Niger, le Nigeria, le Sénégal, le Soudan, la Tanzanie, le Togo et la Zambie.

Le Mali, le Libéria, la Sierra Leone et la Somalie[2] sont les seuls de ces pays africains à ne pas disposer de législation nationale interdisant les MGF.

En outre, Equality Now a consulté des rapports, provenant à la fois des médias, des agences de l’ONU et d’études à petite échelle, sur l’existence des MGF dans 14 autres pays d’Afrique : la République démocratique du Congo (RDC), la Libye, le Malawi, l’Afrique du Sud, le Soudan du Sud, et le Zimbabwe, ont des dispositions spécifiques criminalisant les MGF.

Ainsi, au total, parmi les 55 États membres de l’Union africaine, 46 sont connus pour pratiquer les MGF à plus ou moins grande échelle. Parmi ceux-ci, seuls 32 prévoient des dispositions légales pour pénaliser ces pratiques.

 

L’efficacité des lois contre les MGF

Pour que la loi soit efficace, elle doit être mise en œuvre par le gouvernement, être respectée par les citoyen·ne·s et appliquée par les organes judiciaires[3]. Par conséquent, les contextes culturels ou les attitudes envers la loi peuvent entraver la mise en œuvre d’une législation contre les MGF. Au Burkina Faso, avant l’amendement du code pénal en 2020, les auteur·e·s.accusé·e·s de pratiquer ou d’aider et d’encourager la pratique des MGF et qui étaient reconnu·e·s comme des délinquant·e·s primaires étaient généralement condamné·e·s à une peine avec sursis. Cela s’explique par le fait que la peine prescrite par le code pénal est considérée comme trop sévère par certain·e·s magistrat·e·s. Ainsi, la pratique judiciaire entrave l’efficacité de cette loi et fait que les auteur·e·s de la première infraction sont à nouveau inculpé·e·s pour récidive.

En Guinée, les premières lois contre les MGF ont été votées en 1965, mais ce n’est qu’en 2016 que le nouveau Code pénal les a inclues en tant que pratique considérée comme dangereuse et nuisible à la santé des jeunes filles et des femmes. La nouvelle loi anti-MGF prévoit une peine pouvant aller jusqu’à 20 ans de réclusion criminelle lorsqu’une fille ou une femme décède à la suite de ces pratiques. Malgré les dispositions et la longévité de la loi, la prévalence des MGF en Guinée n’a pas changé de manière significative. Cela montre que la législation a besoin de plus d’éléments de soutien pour être efficace.

 

Corrélation négative entre la loi et la prévalence

Au cours de la conversation sur le sujet Loi&MGF, organisée par la CoP sur les MGF le 25 août 2021, le juge Kabusco Keita, membre du panel, a souligné que, malgré les lourdes peines prévues par le Code pénal en Guinée Conakry, la prévalence reste élevée car peu de personnes signalent ces pratiques. Il y a très peu de sanctions pour les cas transmis à la police, au système judiciaire, etc. Les lois guinéennes, à savoir le Code pénal et le Code de l’enfance, ne comportent pas de lacunes ou de failles dans la criminalisation de la pratique des MGF, car toutes les situations sont prises en compte, y compris les auteur·e·s qui y participent directement ou indirectement. Le problème se trouve dans les actions préventives et les sanctions. Il y a peu d’opposition aux MGF, ce qui fait que très peu de cas sont signalés en raison de normes sociales très ancrées.

L’existence de lois nationales contre les MGF dans un pays entraîne une augmentation des MGF transfrontalières pour permettre aux auteur·e·s d’éviter les poursuites.

Si cette loi interdit les MGF transfrontalières, son application représente un défi, en raison de la porosité des frontières africaines, du manque de coordination entre les agent·e·s chargé·e·s de l’application de la loi dans les pays voisins, de l’application variable de celle-ci et, dans les pires situations, de la frontière avec un pays qui ne criminalise pas les MGF dans sa législation.

Le Mali ne criminalisant pas les MGF, les auteur·e·s et les familles des pays voisins (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée et Sénégal) s’y rendent pour pratiquer des MGF sans être détecté·e·s. La mauvaise application de la loi au Burkina Faso fait que les auteur·e·s ne sont pas poursuivi·e·s et que les personnes concernées ne reçoivent pas de justice. C’est également le cas dans la région du Guidimakha en Mauritanie, qui est très éloignée et difficile d’accès, mais aussi une zone sensible pour les MGF transfrontalières avec le Sénégal et le Mali.

Dans les cas où le soutien de la communauté aux MGF est fort, la criminalisation des pratiques doit aller de pair avec la protection des personnes concernées et des témoins contre les intimidations et les préjudices pendant les poursuites judiciaires. Au Liberia, lorsque Ruth Berry Peal a cherché à obtenir justice pour avoir été contrainte de subir des MGF, elle a été harcelée et battue par la communauté pour qu’elle abandonne les poursuites. L’affaire est allée jusqu’à son terme et les auteur·e·s ont été condamné·e·s à des peines de prison. Cependant, la police a refusé d’exécuter la décision de justice.

 

Que faut-il faire au-delà de la mise en place d’une loi ?

[4]Comme nous pouvons le voir dans les exemples ci-dessus, il ne suffit pas de disposer d’une loi. L’application et la mise en œuvre de la législation sont donc essentielles et c’est là que de nombreuses lois interdisant les MGF échouent.

Au Kenya, la police ou les agent·e·s chargé·e·s de l’application de la législation qui mènent des enquêtes n’ont pas accès aux copies physiques des lois interdisant les MGF. Deuxièmement, même lorsque c’est le cas, la plupart des enquêteur·trice·s et des autres acteur·trice·s de la chaîne judiciaire, tels que les médecins légistes, les avocat·e·s et les juges, ne sont pas suffisamment formé·e·s pour comprendre les spécificités des MGF. Il·elle·s ne peuvent donc jouer leur rôle efficacement et garantir l’accès à la justice aux personnes touchées par les MGF. En outre, dans certaines communautés, les MGF sont liées au mariage des enfants. Lorsqu’une fille est sauvée d’un mariage d’enfants, elle est emmenée chez un médecin qui l’examine afin de déterminer si elle a subi des abus sexuels (connus sous le nom de “défloration” dans le contexte kenyan[5]). Dans la plupart des cas, le fait qu’elle ait subi une MGF n’est pas enregistré. Par conséquent, les auteur·e·s qui lui ont fait subir une MGF restent impuni·e·s, même lorsqu’un cas d’abus sexuel dans le cadre d’un mariage d’enfants est porté devant les tribunaux. Nous ne saurions trop insister sur l’importance d’une formation adéquate des agent·e·s chargé·e·s de l’application de la loi et des médecins légistes pour qu’il·elle·s comprennent les liens entre les MGF et le mariage d’enfants, afin de garantir que des preuves de ces pratiques soient recueillies dans tous les cas de mariage d’enfants. En général, la volonté politique des États et l’allocation adéquate de fonds affectent la mise en œuvre de la loi contre les MGF. Les agences gouvernementales en charge des MGF doivent être correctement financées et géographiquement présentes dans les zones où les services sont requis. Sur son blog, Eva Komba explique que le Conseil de lutte contre les MGF au Kenya est chargé de concevoir et de mettre en œuvre des programmes visant à éradiquer les MGF/E[6].  À la suite de la déclaration présidentielle visant à mettre fin aux mutilations génitales féminines d’ici 2022, ses activités ont augmenté de manière exponentielle, pour prévoir le lancement et la mise en place de comités de pilotage de la lutte contre les mutilations génitales féminines dans 22 comtés, afin de localiser les programmes de lutte contre les mutilations génitales féminines au sein des communautés. Cependant, le Conseil ne reçoit que très peu de fonds du gouvernement et dépend donc largement du soutien financier des donateurs et des OSC partenaires. Au Mali, le Programme National pour l’Abandon des Violences de Lutte contre les Violences Basées sur le Genre (PNVBG), anciennement connu sous le nom de Programme National de Lutte Contre la Pratique de l’Excision (PNLE), reçoit un financement limité du gouvernement, restreignant ainsi ses activités de prévention à des programmes de sensibilisation peu fréquents. De même, les OSC du Mali ont largement soutenu le travail du PNVBG.

Enfin, il est important que les programmes de lutte contre les MGF s’attaquent aux causes profondes de ces pratiques. Bien trop souvent, les discussions sur les raisons pour lesquelles les MGF devraient être éliminées se sont appuyées sur l’approche des “méfaits”, c’est-à-dire les effets néfastes des MGF. C’est la raison pour laquelle, en Sierra Leone et au Liberia, les mouvements pro-MGF s’opposent à cette approche en affirmant que la médicalisation de ces pratiques réduira leurs effets néfastes et en plaidant pour l’”autonomie corporelle” des femmes adultes – le droit de subir des MGF. Il est nécessaire de mener un plaidoyer sur les MGF davantage axé sur le genre et les droits humains afin de s’assurer que les normes et croyances de genre profondément enracinées qui conduisent à la discrimination à l’égard des femmes et des filles sont abordées et d’enrichir les approches de transformation du genre que le mouvement pour l’abolition des MGF adopte.

 

Que devons-nous faire pour assurer la mise en œuvre ou le respect de la loi ?

  • Plaidoyer éclairé : Les ONG et les activistes travaillant sur le terrain doivent avoir accès aux connaissances sur la prévalence des MGF et le statut des lois afin d’alimenter leur action vitale pour mettre fin aux MGF.
  • Encourager le signalement des cas de MGF : l’établissement de la responsabilité de signaler les cas de MGF doit être ajouté dans les lois nationales des pays pratiquant les MGF.
  • Améliorer la coopération de tous les acteur·trice·s qui travaillent à l’élimination des MGF à l’échelle nationale et régionale : on ne saurait trop insister sur la collaboration entre les organes et agences de l’État tels que les Conseils de lutte contre les MGF, la police, les procureurs, les médecins, les organisations de protection de l’enfance et de la société civile. En outre, les pays africains voisins doivent élaborer des stratégies et collaborer pour relever les défis actuels, notamment les MGF médicalisées et transfrontalières. Il s’agit de menaces réelles qui sont souvent négligées dans les législations nationales.
  • Des données de qualité : Il est important, alors que les gouvernements donnent la priorité à la mise en œuvre de la loi, de collecter, conserver et diffuser des données qualitatives et quantitatives désagrégées sur les MGF, à savoir la prévalence, les communautés pratiquantes, les régions, les programmes mis en œuvre et leur impact, entre autres. Cela facilitera la planification et la mise en œuvre de programmes de qualité pour prévenir et traiter les MGF. Le gouvernement doit permettre aux OSC et aux activistes travaillant avec les victimes de MGF de contribuer à la collecte de données en adoptant des politiques qui standardisent les données.
  • Faire pression pour que les lois soient modifiées : Les OSC et les activistes des droits des femmes doivent plaider pour l’amendement des lois qui n’interdisent pas toutes les formes de MGF et les MGF transfrontalières, afin de s’assurer que ces lacunes sont comblées pour offrir une protection maximale aux femmes et aux filles contre les MGF.
  • Protection des personnes concernées contre l’intimidation : Le gouvernement doit adopter des lois sur la protection des témoins afin d’assurer la protection des personnes concernées et des témoins qui risquent d’être intimidé·e·s ou de subir des préjudices. Les OSC et les activistes des droits des femmes doivent pousser leur gouvernement à adopter de telles mesures de protection.
  • Mobilisation et formation : La mise en œuvre de la loi ne doit pas se concentrer uniquement sur la poursuite des auteur·e·s, mais doit inciter à un changement des normes sociales et culturelles de la communauté, offrant ainsi une plus grande protection aux femmes et aux filles. Il est important de sensibiliser la communauté aux dispositions de la loi et de faciliter de nombreuses conversations intergénérationnelles sur les MGF. Tous les acteur·trice·s de l’État doivent recevoir une formation régulière sur les MGF et leur rôle dans l’élimination de la pratique afin de s’assurer qu’il·elle·s sont parfaitement équipé·e·s pour traiter les cas de MGF signalés et qu’ il·elle·s offrent aux personnes concernées les meilleurs soins possibles, minimisant ainsi leur re-victimisation. Cela inclut les agent·e·s chargés·e·s de l’application de la loi, les procureurs, les médecins, les magistrat·e·s et toutes les autres personnes impliquées dans la chaîne judiciaire.
  • Financer adéquatement la lutte contre les MGF : Les gouvernements africains doivent investir dans des programmes de lutte contre les MGF qui remettent en cause les normes sociales et de genre prédominantes, promeuvent l’égalité des sexes et améliorent le bien-être des filles et des femmes.
  • Tenir les gouvernements responsables: Les militants doivent continuer à contester les environnements juridiques actuels qui ne soutiennent pas les efforts visant à éliminer les MGF. Ensemble, nous devons mettre nos gouvernements sous pression pour qu’ils respectent les engagements pris dans le cadre des traités internationaux et qu’ils atteignent les ODD.

[1]  Les MGF/E sont interdites au Tchad par la loi sur la santé de la reproduction adoptée en 2002, mais le décret d’application nécessaire à l’entrée en vigueur de la loi n’a été adopté qu’en 2018. Ce décret doit être signé par le Président avant de pouvoir entrer en vigueur.

[2] La Constitution somalienne interdit la “circoncision des filles”, mais aucune législation ne met en œuvre cette disposition et aucun cas connu de MGF/E n’a été poursuivi en vertu du code pénal.

[3] Krešić Mariod, L’efficacité du droit en théorie et en pratique : L’efficacité de l’adjudication (2019) Interdisciplinary Management Research XIV (IMR) <https://www.bib.irb.hr/1056516>.

[4] Krešić Mariod, L’efficacité du droit en théorie et en pratique : L’efficacité de l’adjudication (2019) Interdisciplinary Management Research XIV (IMR) <https://www.bib.irb.hr/1056516>.

[5] En vertu de la section 8 de la loi kenyane sur les infractions sexuelles (CAP. 62A), la défloration est un délit dans lequel une personne provoque la pénétration des organes génitaux d’un enfant.

[6] Section 5 de la loi sur l’interdiction des MGF

Pour en savoir plus sur la législation anti-MGF en Afrique et dans d’autres régions, retrouvez toutes les informations recueillies dans le cadre de la discussion thématique sous le thème en question.

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