Par Mme Everlyne (Eva) Komba*
Les mutilations génitales féminines (MGF) sont une reconnues au niveau international comme une violation des droits humains des filles et des femmes. Bien que la prévalence des MGF soit en baisse, la pratique affecte toujours environ 200 millions de femmes dans le monde. De nombreux pays d’Afrique subsaharienne ont adopté des lois nationales spécifiques contre les MGF et beaucoup d’autres ont inclus une interdiction des MGF dans d’autres législations nationales. Dans mon pays, le Kenya, la législation anti-MGF est centrale dans la réponse au défi des MGF. La loi a été soutenue par la création d’un Conseil contre les mutilations génitales féminines qui regroupe un large éventail de pouvoirs de police. La mission de ce Conseil anti-MGF ?Assurer la surveillance, la prévention et la poursuite des contrevenants.
Défis rencontrés par le Kenya dans la mise en œuvre de la législation anti-MGF
Malgré tous ses succès, le Conseil contre les MGF est toujours basé à Nairobi (capitale du Kenya) avec une présence géographique insuffisante dans les autres régions du pays. Autant le Conseil est invoqué pour mener la lutte contre les MGF au niveau décentralisé, autant il ne dispose pas de ressources gouvernementales locales disponibles dans les régions, en dehors de la capitale. Le Kenya manque effectivement d’une stratégie visible sur la façon de décentraliser la lutte contre les MGF. L’engagement avec les gouvernements des comtés est insuffisant malgré les dispositions de 2010 de la constitution, exigeant que les gouvernements infranationaux jouent un rôle dans l’instauration d’une meilleure protection des femmes et des filles dans leurs juridictions respectives.
De plus, à mon avis, le Conseil n’établit pas suffisamment de liens directs avec les services et institutions de protection de l’enfance au niveau national ou départemental.
Enfin, l‘épidémie de coronavirus (COVID-19) et les mesures de contrôle de la population qui ont suivi ont affaibli la plupart des structures étatiques et sociales telles que les systèmes juridiques et les mécanismes de protection, augmentant ainsi le risque de violences basées sur le genre (VBG) et en particulier de MGF.
Le lancement d’une collaboration innovante dans le comté de Kajiado.
C’est dans ce contexte que la société civile a identifié une fenêtre d’opportunité pour collaborer avec le gouvernement du comté de Kajiado en tant qu’allié dans la lutte contre les MGF. Ce comté, l‘un de 47 et situé dans le sud-ouest du Kenya, est principalement peuplé par la communauté masaï, où des parties de la population pratiquent encore les MGF.
Les organisations de la société civile travaillent en collaboration avec le Département du genre du gouvernement du comté de Kajiado. Ensemble ils ont lancé un processus participatif qui a abouti à l’adoption d’une politique du comté sur les MGF.
Cette politique de Kajiado, qu’a-t-elle de si original ? La politique soutient une approche multisectorielle et donne une impulsion supplémentaire aux acteurs au niveau du comté pour qu’ils et elles s’engagent davantage dans la lutte contre les MGF. Elle comprend plusieurs programmes, notamment des campagnes d’abandon des MGF – axées spécifiquement sur les écoles – des recherches sensibles à la culture ainsi que des dialogues communautaires. Il convient de noter que la politique adopte une approche fondée sur des données probantes pour mesurer les progrès vers l’arrêt des MGF.
Au cœur de la politique se trouve la reconnaissance de la collaboration intergouvernementale. La politique a permis la mise en place d’un mécanisme de coordination très inclusif qui commence au niveau du gouvernement du comté et est ensuite répercuté vers les niveaux inférieurs de gouvernance, en particulier les niveaux des sous-comtés et des quartiers.
Plus important encore, le mécanisme de coordination se caractérise par l’inclusion non seulement de représentant.e.s du gouvernement mais aussi de citoyen.ne.s individuel.le.s, comblant ainsi une lacune cruciale dans la législation nationale.
Deuxièmement, la participation citoyenne (si elle est bien mise en œuvre) promet de perturber les MGF clandestines dans la communauté.
Dans l’ensemble, la politique de Kajiado pour l’éradication des MGF peut être considérée comme une étape positive et une pratique prometteuse qui pourrait être reproduite dans d’autres régions. Grâce à un suivi approfondi de la législation et de la politique nationale anti-MGF, ainsi que des politiques au niveau des comtés, le Kenya pourrait être en passe d’atteindre le 5eme objectif de développement durable et d’assurer l’égalité des genre – sans mutilation génitale – pour toutes les femmes et les filles.
* Everlyne (Eva) Komba est spécialiste du genre, de la gouvernance et du développement. Elle est basée au Kenya.
Pour en savoir plus sur la législation anti-MGF en Afrique et dans d’autres régions, retrouvez toutes les informations recueillies dans le cadre de la discussion thématique sous le thème en question.