Le témoignage de Khadia Diallo sur le dialogue intergénérationnel

 

KHADIA DIALLO
Fondatrice de l’association belge de lutte contre les mutilations génitales féminines, le GAMS Belgique

Khadidiatou a quitté le Sénégal dans les années 1980. Il lui a fallu du temps pour arriver à aborder le sujet de l’excision avec sa famille, restée au pays.

Juin 2021

Comment as-tu pu aborder la question de l’excision avec les ainé.e.s de ta famille ?

 

“En 1995, j’ai décidé de parler de l’excision avec mes parents car je suis rentrée au Sénégal avec ma fille cadette, née en Belgique. Elle n’avait que 6 mois, elle ne savait pas encore marcher. Je suis arrivée la nuit, et le lendemain matin j’ai convoqué toute ma famille. J’avais commencé à travailler sur l’excision en Belgique dans le cadre de mes cours de langue, et j’étais en train de lancer une association pour lutter contre la pratique [le GAMS Belgique]. Je me suis dit, ‘C’est le moment, tu vas voir si tu as le courage de parler de ça avec tes parents’. Car si moi-même j’arrivais pas à aborder ce sujet avec ma famille, comment pouvais-je créer une association et parler de cela en public ? Il fallait que je commence avec ma famille.”

Khadia avait déjà eu trois filles lorsqu’elle vivait encore au Sénégal. Deux d’entre-elles ont été excisées sans son consentement. Elle avait réussi à protéger la troisième mais personne ne savait qu’elle n’était pas été excisées. Avant ce fameux jour en 1995, elle n’avait encore jamais abordé le sujet ouvertement avec ses parents.

La rencontre n’a pas été facile.  “J’ai dû être très claire avec ma famille, en leur disant que je n’accepterais pas qu’on fasse exciser ma fille et que je voulais même que ça s’arrête pour toutes les autres filles de ma famille. J’ai été traitée de ‘folle’ d’ ‘européenne’, mais pour moi ce moment a été décisif, ça a confirmé que j’allais continuer mon combat. Je suis fière que suite à cela, plusieurs filles de ma famille ont été protégées.”

Une autre étape dans son parcours à été de discuter avec son grand-père, une personne que Khadia respectait particulièrement et qui avait des connaissances sur l’Islam car il traduisait le Coran en poular.

“La question qui me préoccupait c’était de savoir si l’excision était une obligation religieuse ou non. Je me disais la culture & la tradition on peut l’abandonner, mais la religion c’est plus difficile. Pour cela je me suis tournée à mon grand-père. Je lui ai dit ‘j’ai une question délicate à te poser, délicate pour moi et pour toi, car cela touche à l’intimité des femmes’. Mon grand-père a confirmé que l’excision n’est pas une obligation religieuse et m’a souhaité bon courage avec mon combat.”

 

Comment peut-on mettre en place un dialogue intergénérationnel pour l’abandon de l’excision ?

 

“Pour qu’il puisse y avoir un dialogue intergénérationnel, il faut trouver des points en commun et surtout prendre le temps. Les jeunes d’aujourd’hui ne prennent pas toujours le temps de discuter avec les personnes plus âgées, ils/elles sont préoccupé.e.s avec leurs téléphones, les réseaux sociaux. Ils et elles pensent peut-être que les ainé.e.s ne peuvent pas leur apporter quelque chose. En peul on dit, ‘celui qui est plus âgé que toi il a plus de locs’ [de vieux vêtements], cela veut dire, il a plus de connaissance. Même lorsqu’ils ne sont pas d’accords sur tout, les jeunes et les ainé.e.s peuvent trouver des intérêts communs. Pour les jeunes il s’agit de prendre le temps d’apprendre des ainées mais aussi de leur expliquer que la société évolue, qu’aujourd’hui les femmes peuvent faire un métier en dehors du foyer, qu’elles peuvent choisir lorsqu’elles veulent avoir des enfants…. Et que l’excision doit être abandonnée. »  

Sur la thématique Enjeux inter générationnels