Adopter des modèles de financement féministe : une alternative pour les acteurs et actrices de terrain qui travaillent pour mettre fin aux MGF
Le constat des acteurs et actrices de terrain qui travaillent pour mettre fin aux MGF est clair : les mouvements féministes, organisations consacrées aux droits des femmes et des filles dans toute leur diversité n’ont jamais autant eu besoin de ressources. Une fois ce constat fait, il est important de trouver des alternatives afin de diversifier ses sources de financements. Une alternative peu connue sont les fonds pour les femmes.
Une perspective féministe du financement a le potentiel de transformer notre société. En plus de s’attaquer aux déséquilibres de pouvoir historiques profondément ancrés, elle peut modifier les relations de pouvoir et les normes sociales discriminatoires qui maintiennent les femmes des rapports de pouvoir inégaux.
Les financements féministes innovants remettent en question le statu quo pour réexaminer les systèmes existants. Ayant pour but d’ouvrir des possibilités de changements transformateurs, équitables et durables, ils embrassent la collaboration, l’apprentissage, la participation, l’inclusion et la réactivité dans leurs procédés et partenariats. Cette alternative aux financements classiques suit une approche transformatrice fondée sur les droits ; sa raison d’être est le renforcement de la capacité d’agir des femmes et des filles à mobiliser leurs propres ressources, mais aussi, le renforcement des compétences des autres parties prenantes, dans le but ultime de façonner leur avenir respectif.
Pour introduire une perspective féministe dans cette équation, nous devons examiner de près ce qui est valorisé et comment la valeur est créée dans le processus vers l’égalité des sexes, le tout en soutenant les droits des femmes et des filles pour avoir un impact sur les progrès dans tous les objectifs de développement durable. Cependant, la poursuite d’un agenda féministe ne concerne pas seulement ce que nous faisons, mais aussi la manière dont nous le faisons.
Dans cette discussion, nous cherchons à délibérer et à partager nos points de vue sur ce qu’implique une perspective féministe des financements innovants et les avantages de telles approches.
L’Agenda 2030 pour le développement durable a suscité un sentiment d’urgence et un regain d’énergie dans la poursuite d’un effort mondial coordonné pour lutter contre les inégalités et les pratiques néfastes telles que les MGF. Les droits et l’autonomisation des femmes sont avancé comme condition préalable à l’éradication des inégalités, comme l’illustrent l’ODD 5 portant sur l’égalité des sexes (Objectif de développement durable 5, ou ODD 5) et l’intégration de l’égalité des sexes dans tous les autres objectifs.
Une approche féministe du financement innovant place les femmes, en particulier les femmes et les féministes du Sud, au cœur de l’action et renforce leur capacité d’action afin qu’elles puissent s’attaquer de front aux relations de genre et de pouvoir, en transformant les structures discriminatoires et les normes sociales qui sont constitutives de l’inégalité et de la pauvreté dans leurs sociétés.
Une approche féministe du financement est essentielle à l’inclusion et à la promotion de l’inclusion de la dimension de genre dans les projets, programmes :
- Plus de financement pour les organisations consacrées aux droits des femmes et des filles
Les fonds pour les femmes sont une alternative aux mécanismes de financement traditionnels. En effet, on note que depuis plus de trente ans ces fonds ne cessent d’émerger (Global Fund for Women, Association pour les droits des femmes dans le développement (AWID), Fonds XOESE pour les Femmes Francophones, Fonds Africain pour le Développement de la Femme (AWDF), …) et de grands progrès sont observer depuis lors car, ces fonds travaillent également en orientant le financement des donateurs vers des causes plus percutantes y compris les pratiques néfastes comme les MGF. Les fonds pour les femmes sont donc innovants en ce sens qu’ils offrent un financement féministe flexible et un soutien pour alimenter l’action collective et créer des changements significatifs qui dureront au-delà de notre vie.
Il est important que le financement soit orienté vers diverses organisations de femmes peu importe leur taille et que des efforts proactifs soient faits pour les rendre aussi accessible aux acteurs et actrices de terrain consacrées aux droits des femmes et des filles. Ces acteur.rice.s peuvent être confrontés à des obstacles supplémentaires au financement en raison des barrières administratives, techniques d’accès aux financements traditionnels, et du fait que ces organisations sont souvent organisées de manière informelle ( ne sont pas officiellement enregistrés).
En outre, il est essentiel de veiller à ce que le financement fourni aux organisations consacrées aux droits des femmes et des filles soit flexible et permette le renforcement organisationnel, la mise en réseau et la création de mouvements c’est à cette problématique que vient répondre les fonds pour les femmes.
- Un financement sensible au genre
En plus de fournir un financement plus important et de qualité supérieure à diverses organisations consacrées aux droits des femmes, il est également essentiel pour les fonds féministes et les fonds pour les femmes de veiller à ce que le financement comprenne une forte perspective de genre, quelle que soit l’organisation à laquelle il est accordé.
Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’aide totale des donateurs du CAD (le Comité d’Aide au Développement) aux institutions et organisations (gouvernementales et non gouvernementales) de femmes s’est élevée à 435 millions de dollars US en moyenne par an en 2016-2017. Sur ce montant, 177millions de dollars en moyenne par an ont été engagés spécifiquement en faveur des organisations non gouvernementales de femmes, et seulement 31 millions de dollars ont été directement destinés aux organisations de femmes basées dans les pays en développement.
Au cœur d’une perspective féministe du financement innovant se trouvent les principes féministes suivants auxquels les projets soumis pour financement doivent répondre :
- Changement transformateur : Une approche de changement transformateur tend à redresser les déséquilibres de pouvoir entre les hommes et les femmes, les filles et garçons. Elle remet en question et modifie les relations de pouvoir et les normes sociales discriminatoires qui dévalorisent les femmes et les filles dans toute leur diversité (et qui ont également un impact négatif sur les hommes et les garçons). Ces approches sont à long terme et durables et nécessitent souvent une action collective en plus de stratégies visant à apporter des changements à plusieurs niveaux (individuel, familial, sociétal et institutionnel). Telles que les approches transformatrices pour mettre fin aux MGF.
- Pouvoir d’action : Le pouvoir d’action est la capacité d’un individu ou d’un groupe de personnes à faire des choix et à transformer ces choix en résultats souhaités. L’incorporation du pouvoir d’action dans les politiques nécessite d’envisager les questions d’autonomie, de choix, de responsabilisation et d’engagement significatif. La vision féministe du pouvoir d’action va au-delà de la considération des femmes comme participantes ou bénéficiaires ; elle signifie que les femmes, dans toute leur diversité, sont des expertes de leur propre expérience, des agentes de leur propre vie et des actrices de leur communauté et de leur société.
- Procédé féministe : Une politique féministe donne la priorité non seulement aux résultats – à savoir l’avancement des droits des femmes et des filles – mais aussi au processus utilisé pour les atteindre (les méthodes de travail, la conception et la mise en œuvre des programmes, les valeurs qui sont à la base des décisions). Les aspects fondamentaux du procédé féministe sont l’intégrité, la contextualisation, l’apprentissage, la collaboration, la participation, l’inclusion et la réactivité.
- Intersectionnalité: L’intersectionnalité fait référence aux multiples aspects de l’identité qui jouent dans la vie et les expériences des personnes (tels que le sexe, la classe, l’âge, la sexualité ou l’ethnicité, …) et qui peuvent aggraver et exacerber l’oppression. Une approche intersectionnelle dans les projets et programmes qui tendent à mettre fin aux MGF tient compte des manières complexes dont les identités multiples se croisent et influencent les intérêts, la participation et les résultats.
- Les avantages des fonds féministes en tant que mécanisme de financement innovants
Lors du webinaire sur les financements innovants pour mettre fin aux MGF, l’une des intervenantes qui représentait le Fonds Féministe XOESE pour les Femmes Francophones a mis en évidence les avantages de diversifier les sources de financement pour les organisations de terrain qui travaillant pour mettre fin aux MGF, notamment les fonds pour les femmes. Nous en avons noté quelques-uns :
– Le subventionnement et l’accompagnement : les fonds pour les femmes proposent des subventions flexibles, de base et de plus long terme, ainsi que des mesures d’accompagnement adaptées aux groupes de femmes, filles, leaders, activistes, organisations autogéré.e.s émergents et établis, facilitant l’émergence de mouvements, d’organisations de promotion des droits des femmes, des filles (intégrité physique et autonomie corporelle).
– Le renforcement des capacités des acteurs et actrices de terrain consacrées aux droits des femmes et des filles: les fonds pour les femmes au-delà du financement des initiatives, projets et programmes visant à mettre fin aux MGF, renforcer les capacités institutionnelles des organisations de femmes peu importe leur taille, encourage et appuie des initiatives innovantes de collaboration et d’autonomisation des organisations des femmes.
– Un plaidoyer visant à influencer de la communauté des donateurs : les fonds pour les femmes utilisent leurs connaissances, expériences, leur visibilité et leur crédibilité de au sein des différentes communautés des donateurs pour accroître la quantité et la qualité des financements destinés aux organisations de défense des droits des femmes, des filles.
– Une prise en compte des dynamiques de pouvoir et du privilège de la position de leader et une instauration d’un accompagnement basé sur l’égalité.
– Un financement flexible à long terme qui fournit un soutien exceptionnel aux organisations de terrain qui travaillent pour mettre fin aux MGF et leur donne plus de liberté administrative ( plus de temps consacré aux activités de terrain qu’à l’administration du projet).
En conclusion, une approche féministe ne signifie pas qu’il faille se concentrer exclusivement sur les femmes et les filles ou soutenir uniquement les organisations féministes et de défense des droits des femmes. La collaboration avec un large éventail d’organisations est à privilégier afin de renforcer leur capacité à faire progresser la justice entre les sexes et à s’engager avec les hommes et les garçons. L’objectif principal est de remettre en question les normes sociales qui sont à la base des discriminations entre les sexes, et d’y remédier.
Références
“La Communauté de pratique sur les mutilations génitales féminines” fait partie du projet “Bâtir des ponts entre l’Afrique et l’Europe pour lutter contre les MGF”, soutenu par le “Programme conjoint UNFPA-UNICEF sur l’élimination des MGF”.
Le projet est coordonné par AIDOS en partenariat avec GAMS Belgique
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